Mohammed ERROUAITI : « Le LPEE a été missionné pour réaliser un projet de règlementation acoustique des logements »
Quelle a été la mission du LPEE dans le projet de règlementation acoustique du bâtiment ?
Mohamed Errouaiti : Le LPEE a été missionné pour réaliser un projet de règlementation acoustique des logements. Dans la mesure où il s’agissait de la première règlementation de ce type au Maroc, nous sommes partis de zéro et avons procédé par étapes en faisant valider notre travail
au fur et à mesure par le ministère de l’habitat.
Dans un premier temps, une recherche bibliographique a été effectuée afin d’étudier les différentes réponses apportées par les autres pays aux problématiques acoustiques des logements. Cette étude concernait aussi bien des pays voisins du Maghreb (Algérie, Tunisie) que la France, où il existe une règlementation acoustique des logements qui a évolué depuis sa création en 1969, ou encore d’autres pays européens.
En ce qui concerne l’acoustique des logements, cette étude a mis en évidence d’une part une absence de textes ou des textes non aboutis dans les pays du Maghreb et d’autre part, des approches différentes dans les pays européens. Il y a notamment deux façons différentes d’appréhender les exigences règlementaires : il est possible de raisonner soit sur la garantie de moyens (les éléments mis en œuvre sont supposés satisfaire une certaine performance mesurée dans un contexte de laboratoire), soit sur la garantie de résultats (peu importe les éléments mis en œuvre, une fois la construction réalisée, seul le résultat final est évalué).
Pour la règlementation marocaine, il a été préféré l’approche en garantie de résultats car cela assure à priori un meilleur résultat car il y a aujourd’hui une absence de moyens de caractérisation acoustique des matériaux au Maroc. Une fois cette orientation prise, les indicateurs acoustiques utiles pour la future règlementation ont été sélectionnés parmi ceux déjà existants et couramment utilisés.
Pour déterminer les futures performances à atteindre, il était primordial de réaliser au préalable un diagnostic acoustique. Ce dernier consistait à la fois en des mesures objectives des diverses habitations marocaines ainsi que des questionnaires auprès des habitants. Pour ce diagnostic, les logements étudiés étaient répartis parmi les quatre catégories retenues : maison marocaine, appartement économique, appartement moyen standing, appartement et villa haut standing. Il est ressorti de notre analyse que la principale gêne signalée vient du manque d’isolement vis-à-vis des voisins et en second lieu vis-à-vis des bruits de circulation. Par ailleurs, la campagne de mesures a mis en évidence une absence de corrélation entre les performances acoustiques d’un logement et son standing. Les performances mesurées se sont avérées relativement éloignées des standards européens. Tout cela illustrait bien le fait que l’acoustique n’est pas encore aujourd’hui une préoccupation dans l’acte de construction au Maroc.
Finalement, les seuils réglementaires pour la future réglementation acoustique des logements ont été déterminés en fonction :
• des résultats de la campagne de mesures
• des habitudes de construction,
• des recommandations internationales relatives au confort acoustique,
• du surcoût dû à la prise en compte du confort acoustique dans le bâtiment.
Tous les types de bâtiments seront-ils concernés par cette règlementation ?
M.E : Le projet de règlementation ne concerne que les logements. Par contre, il a été pensé pour être appliqué à toutes les catégories de logements. Pour que cela soit possible sans créer de trop gros changements tout en encourageant la qualité acoustique, nous avons repris une idée de la règlementation belge, à savoir deux niveaux de performance :
• Confort normal : un niveau de performance règlementaire minimal qui apporte un confort acoustique satisfaisant tout en modifiant assez peu les habitudes constructives.
• Confort supérieur : un niveau de performance optionnel élevé, qui tend vers une augmentation du confort acoustique et peut devenir un argument de qualité et de vente pour un promoteur ou un vendeur.
Quels sont les critères acoustiques pris en compte?
M.E : Les principaux critères acoustiques retenus pour la règlementation peuvent être classés en trois catégories :
• – L’isolement aux bruits aériens intérieurs : il s’agit de se protéger par exemple des bruits de conversations, de télévision ou de musique provenant d’un autre logement ou local du bâtiment. Cet isolement est défini entre logements mitoyens, entre logement et circulation, entre logement et local d’activité, ainsi qu’entre logement et parking.
• – L’isolement aux bruits aériens extérieurs : il s’agit de se protéger des bruits provenant de l’extérieur, essentiellement les bruits de transport. Cet isolement est appelé isolement de façade.
• – Le niveau de pression au bruit de choc : il s’agit ici de limiter le niveau sonore dans un logement dû aux bruits des pas ou à la chute d’objets dans un autre logement.
La règlementation étant performancielle, comment vont se passer, dans la pratique, les essais de mesures acoustiques ?
M.E : Pour vérifier la conformité règlementaire d’un logement, des mesures devront être réalisées. Les modalités de ces mesures n’ont pas encore été arrêtées. Toutefois, il est à préciser que pour une issue favorable, il convient de prendre en compte l’acoustique dès le début d’un projet et durant ses trois phases, à savoir au moment des études, durant le suivi de chantier, et enfin au moment de la réception.
Avez-vous une idée du surcoût engendré par l’application de cette règlementation?
M.E : Selon nos premières estimations, le surcoût engendré par l’application de la règlementation serait autour de 2% pour le confort normal. En ce qui concerne le confort supérieur, le surcoût est estimé à un minimum de 4 %. Il reste cependant difficile de s’avancer sur un pourcentage définitif puisque ce dernier dépend du coût de construction et donc du standing du logement.
Quels sont les éléments à améliorer pour gagner en performances acoustiques?
M.E : Parmi les différentes pistes qui pourraient permettre d’augmenter les performances acoustiques des logements.
• Une meilleure maîtrise des éléments de construction : les éléments de maçonnerie fabriqués en dehors du circuit industriel présentent des caractéristiques très variables.
• Une meilleure étanchéité des menuiseries :
les portes et fenêtres étant les éléments acoustiques les plus faibles dans une cloison ou une façade, il convient d’assurer leur bonne mise en œuvre.
• Une généralisation de la sous-couche acoustique sous le revêtement de sol, ce qui limite la transmission des vibrations.
C’est ici l’occasion d’indiquer la connexion entre acoustique et thermique, dans les deux cas, l’étanchéité est recherchée. Une augmentation de l’isolation acoustique engendre une augmentation de l’isolation thermique.
Où en est le projet ?
M.E : Le projet est aujourd’hui entre les mains du Ministère de l’habitat et il ne reste plus qu’à trouver les modalités de son application. Il faut espérer que cette règlementation voit prochainement le jour et qu’elle soit correctement appliquée car tout le monde gagnerait alors en qualité de vie. La suite logique pourrait être alors de déployer la règlementation acoustique aux autres types de bâtiments (hôpitaux, écoles, hôtels).
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n°165 – Octobre 2018