Le patio, qui représente un élément fort de notre architecture traditionnelle, tend à disparaitre des propositions architecturales des maitres d’œuvre du Maroc. En cause, une règlementation incendie « liberticide » et « aveugle » qui manque de souplesse. Pourtant, à l’heure du dérèglement climatique, jamais cet ilot de fraicheur que représente le patio ne s’est aussi bien imposé à nous. Entretien avec Bakr SAAD, directeur général de Casavigilance.
Chantiers du Maroc // Pour être en conformité avec la règlementation, un architecte ne peut pas concevoir un hôtel ou un bâtiment quelconque avec un patio ouvert ?

Bakr SAAD « Il y a deux types de bâtiments et la réglementation est restrictive dans les deux cas, mais elle l’est moins dans le cas des ERP. Par exemple dans un hôtel de 5 étages on peut faire des patios, mais il faut des dimensions particulières qui sont généralement de sept fois sept mètres. La plus petite dimension du patio doit faire sept mètres. Donc pour pouvoir se permettre ces dimensions, il faut que le bâtiment lui-même soit assez important en termes de surface. Mais c’est de la surface commercialisable en moins qui part. Donc déjà ça c’est pour la partie établissements recevant du public. Pour les IGH de plus de 28 mètres, c’est pratiquement impossible de faire des patios.
Aujourd’hui, pour un bâtiment de 20 étages, on doit prévoir un patio qu’on fermera au niveau du troisième étage maximum.
Sur le plan architectural on peut dessiner un faux ciel en trompe l’œil pour donner l’impression qu’on est à l’extérieur, alors qu’en fait on est à l’intérieur ».
CDM // Mais pourquoi c’est si restrictif ?
B.S « Il est nécessaire de cloisonner les volumes et vous ne pouvez pas avoir plus d’un compartiment qui brûle en même temps tout en ayant des cloisons et des portes coupe-feu deux heures. Au final, il faudra toujours penser à l’évacuation du public, c’est l’élément le plus important. Maintenant, quand on isole les différents niveaux séparément on arrive à atteindre cet objectif. Mais on peut très bien arriver à cet objectif là avec des moyens actifs et non pas nécessairement passifs. Un mur coupe-feu, une porte…sont des éléments passifs. Mais on peut très bien aujourd’hui jouer avec des éléments actifs pour arriver au même degré de sécurité ».
CDM // Des éléments actifs, c’est à dire qu’ils fonctionnent à l’électricité, avec un apport d’énergie ?
B.S « Exactement. Et, selon un scénario prédéfini, si le feu se déclenche au niveau du septième étage un système d’extinction automatique qui se déclenche dans tous les niveaux. Systématiquement, j’ai un système de désenfumage qui permet d’extraire les fumées de ce niveau-là. Avec une simulation on peut prouver que c’est tout ce qu’il faut faire. Toutes ces solutions-là permettent justement de procéder à l’évacuation du public, faciliter l’intervention des pompiers et empêcher la propagation du feu qui sont les trois principes majeurs de la prévention dans tous les types de bâtiments ».
CDM // Comment jugez-vous la règlementation au Maroc ?
B.S : « Au Maroc, la réglementation est très restrictive. En France et dans beaucoup de pays européens, il y a le principe de dérogation qui peut être appliqué si on fournit une étude qui justifie le choix de la dérogation. En faisant appel à ce qu’on appel à des laboratoires agréés spécifique comme celui du CSTB ou d’autres qui, au moyen d’études spécifiques et de simulations pertinentes, peuvent démontrer que la dérogation est possible. Au Maroc, il n’y a pas de principe de dérogation parce que de toutes les manières et les architectes sont, parfois, bridés dans leur créativité. Vu que la responsabilité incombe aux bureaux d’études, au bureau de contrôle et à l’architecte il suffit que l’une des trois personnes n’accepte pas de prendre cette responsabilité pour bloquer un processus qui sort du respect strict et littéral de la règlementation ».
CDM // Et c’est sans espoir ?
B.S : « Le principe de dérogation, n’existe pas du tout chez nous. Soit on applique la réglementation telle qu’elle est, soit c’est négatif ».
CDM // Et pourquoi ça ?
B.S : « Parce que nous n’avons pas de laboratoires qui sont capables d’aller plus loin et d’analyser le risque de manière plus intelligente.
D’abord il faut changer les textes pour qu’ils puissent donner une marge de manœuvre en disant, schématiquement, qu’on déroger à la règle du compartimentage de chaque niveau en faisant appel à une étude d’ingénierie qui peut être validée par un laboratoire agréé international. C’est ainsi qu’on peut voir des bâtiments avec un atrium de 20m sur 20m ouverts sur toute la hauteur dans des pays du Golfe ou dans des pays anglosaxons. Ce n’est pas pour autant qu’ils font plus de morts qu’au Maroc ou qu’en France ? »
CDM : il n’y pas d’exception ?
B.S : « Si, il y en a eu une. On a fait appel au laboratoire spécialisé Effectis en France qui a modélisé le bâtiment en argumentant que vu le faible potentiel calorifique des matériaux, que les bureaux du hall de l’espace conférence disposaient d’un moyen d’extinction automatique avec un système de désenfumage etc.. que même si il y a, dans le cas le plus contraignant, un incendie qui démarre dans l’une de ces zones-là, le bâtiment peut être évacué sans gêne particulière ».
CDM // Et les sapeurs-pompiers ?
B.S : « Aujourd’hui, il n’y a plus de protection civile dans le circuit de validation des demandes dans les commissions du permis de construire. Mais jusqu’au dernier jour de leur existence, au niveau de la commission, ça a toujours été refusé de mettre un patio central dans un immeuble de grande hauteur ».
CDM // L’architecture traditionnelle à patio est tout à fait adaptée à nos climats et les architectes devraient profiter de ce changement pour concevoir plus de bâtiments avec des patios ?
B.S : « Aujourd’hui, il n’y a pas mal d’architectes qui envisagent ou font des conceptions, que ce soit de maisons particulières et surtout d’hôtels, de bâtiments recevant du public autour d’un atrium central. Tourner autour du patio ce n’est pas juste pour des considérations esthétiques, mais surtout environnementales. L’ombre apportée par ces espaces sont des îlots de fraîcheur et encore quand ce dernier est planté de végétation etc. Les racines des arbres vont chercher l’eau profondément dans la terre, ils la remontent jusque dans les feuilles qui évaporent toute l’eau dans les airs. C’est le même phénomène qui rend les rues arborées plus fraiches ! »
CDM // Mais alors, si on suit la réglementation stricto sensu, on n’est plus en droit de prévoir des patios ?
B.S : « Malheureusement le patio est considéré par la réglementation incendie comme étant contraire aux principes dont la propagation rapide d’un incendie qui se propage vite par l’apport d’air, véritable combustible, apporté par le patio ».
CDM // La règlementation marocaine est calquée sur les pratiques européennes. Ne pensez-vous pas qu’il faut l’amender afin de mieux correspondre à l’architecture favorable à nos climats ?
B.S : Certainement, il va falloir que les architectes se mobilisent pour pouvoir proposer des dispositions architecturales contextuelles. Pour le moment un patio avec sept mètres de largeur, c’est un minimum.
« Il y a des sujétions constructives qui peuvent palier au « défaut » des patios sur le plan sécurité incendie comme les écrans de cantonnement. C’est à dire des retombées faites soit par des matériaux de type plexi ou des écrans de cantonnement textile amovibles. Donc c’est un budget supplémentaire qu’il faut prévoir. Mais en plus il va falloir désenfumer les couloirs et l’atrium en lui-même En passant par une simulation, on peut, du fait du potentiel calorifique réel du bâtiment, par rapport à chaque usage. Par exemple en faisant un musée ou les espaces sont quasi-vides. Qu’est ce qui va brûler dans un musée ? Il faut améliorer la règlementation pour permettre aux architectes de libérer leur créativité ».
CDM // La réglementation ne tient-elle pas compte de l’usage des espaces ?
B.S : « Effectivement, les instructions techniques ne sont pas très objectives. Que vous fassiez un dortoir, une bibliothèque, un hôpital ou un musée, donc peu importe le potentiel calorifique, il vous sera demandé et exigé la même chose, ce qui n’est pas logique.
On suit aveuglément la France qui a tellement réglementé ces différents aspects qu’elle est devenue un des pays les moins attractif à ce niveau. Sauf que eux ont mis en place des dispositions qui permettent de dépasser certains arrangement prévus par la loi. La France est en train de dérégler. Ce n’est pas encore le cas chez nous ! »
Propos recueillis par Fouad Akalay