Immédiatement après la prise de conscience de l’ampleur de la catastrophe qui a détruit des milliers de logements dans la région du Haouz, et dès le lendemain du drame, de nombreux architectes ont adhéré en masse à une idée toute simple proposée sur les réseaux sociaux par Aziza LAHRECH, architecte : r𝗲𝗹𝗼𝗴𝗲𝗿 𝗽𝗿𝗼𝘃𝗶𝘀𝗼𝗶𝗿𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗹𝗲𝘀 𝘀𝗶𝗻𝗶𝘀𝘁𝗿é𝘀 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝗱𝗲𝘀 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗲𝗻𝗲𝘂𝗿𝘀 𝗮𝗺𝗲́𝗻𝗮𝗴𝗲́𝘀. Nous l’avons interrogée.
Pourquoi cet élan de solidarité́, en quoi vous sentez-vous particulièrement interpellée ?

Aziza LAHRECH : « D’abord je suis marocaine et, en tant que telle, directement concernée. Mais surtout, ce séisme nous a tous ébranlés car nous l’avons tous ressenti. Alors quand on a appris que de nombreux concitoyens avaient perdu la vie, que d’autres étaient blessés, leurs logements détruits, on est tous interpellés dans ce pays. Il fallait donc réagir, et vite ! Dès la prise de conscience du samedi matin qui a suivi les secousses, après l’émotion, la douleur et la compassion il a fallu se ressaisir et réfléchir. L’idée de l’utilisation des containers m’est venue tout de suite et je l’ai partagée sur les réseaux. Immédiatement et spontanément, beaucoup d’architectes et d’étudiants ont adhéré́ et nous nous sommes tous mis au travail. Objectif : proposer des habitations en containers ».
En quoi consiste votre proposition exactement ?
A L : « Alors c’est simple. Il s’agit d’utiliser les containers, que tout le monde connait, qu’on utilise pour le transport de marchandises. Cet objet métallique très solide pourrait être rapidement transformé en logement. Cette idée a déjà̀ été concrétisée dans de nombreux pays ; internet regorge de photos sur ce sujet. En guise de réponse à la nécessité́ de fournir aux sinistrés du Haouz un logement d’urgence, les containers paraissent parfaits. Car en plus de la rapidité́ de mise en œuvre, ces abris solides pourront efficacement protéger leurs occupants des rigueurs de l’hiver.
Donc notre proposition consiste à élaborer le projet d’aménagement de containers en logements et également en équipements indispensables à la vie quotidienne (salles d’eau, cuisines, réfectoires, école, crèche), et aussi les lieux de vie communs pour maintenir le lien social et la convivialité́.
Le projet proposé aujourd’hui est implanté́ sur un terrain que nous a désigné une association présente sur place. Mais, de fait, notre proposition est mise à la disposition de tous décideurs intéressés pour financer la production et veiller à l’installation sur tous les lieux définis. Ainsi, ce même projet sera adapté à tous les sites où l’installation de ces logements s’avérera utile. Notre équipe se tient prête pour la mise au point des différents projets en fonction du site choisi, des personnes à reloger et donc du nombre de containers à disposer. Il y a toujours l’étude et l’élaboration d’un plan masse global pour définir, outre l’emplacement des logements et équipements, les espaces libres communs qui donneront une cohésion à l’ensemble du village ».
Où pensez-vous trouver des containers pour réaliser autant d’habitations ?
A L : « A ce sujet, nous faisons appel à toutes les entreprises de fabrication et d’exploitation de containers pour qu’elles étudient les meilleures formules pour la fourniture de la « matière première ».
Quelle logistique pensez-vous mettre en place pour arriver à vos fins ?
A L : « Encore une fois, dans le cadre de l’élan de solidarité́ nationale, les entreprises de transport disposant de camions semi-remorques seront sollicitées pour transporter les containers jusqu’à un site défini, proche des lieux de livraison, où se dérouleront et seront centralisés les travaux d’adaptation et d’aménagement des containers. Ensuite, il faudra les acheminer vers leur destination finale, soit par voie terrestre, (et j’en profite pour saluer les efforts énormes déjà̀ déployés pour la réfection des routes), ou par voie aérienne, plus compliquée, et qui ne devrait concerner que les sites les plus éloignés et les moins facilement accessibles par la route.
Il faut agir vite, car pour reloger toutes les populations sinistrées, le chiffre de 50 000 logements nécessaires ayant été́ avancé, il faudra prévoir au minimum six mois si tout le monde fournit des efforts considérables. Notre équipe est prête à relever le défi, ainsi que, j’en suis certaine, tous les architectes du royaume.
Ce qui est rassurant, c’est que le prix de revient d’un container aménagé́ peut entrer dans l’enveloppe que notre souverain a décidé́ d’allouer à chaque famille pour le relogement d’urgence ».
Avez-vous proposé quelques modules habitables ?

A L : « Pour l’instant, nous avons bouclé la phase des études et l’avant-projet. Si on nous le propose, nous pouvons fournir tous les plans de détails et d’exécution et de veiller et superviser la fabrication de modules habitables. Et leur installation sur le site en phase finale ».
Sa Majesté a été clair : la reconstruction définitive se fera dans le respect du patrimoine. Votre solution apporte-t-elle une réponse satisfaisante sur ce point ?
A L : « Quelque part oui, mais soyons clairs, nous nous inscrivons plutôt dans la phase de relogement d’urgence. Notre idée part du fait que le provisoire risque de durer, en raison de l’ampleur de l’opération de relogement définitif. Comme je viens de le dire plus haut, la préparation et l’installation des containers risque de durer jusqu’à six mois, ce qui signifie que de nombreuses familles passeront l’hiver sous les tentes ; ainsi, il faudra privilégier les sites les plus exposés au froid et à la neige, car les containers, c’est la raison de notre choix, protégeront leurs occupants efficacement.
Ceci dit, en réfléchissant à la question de l’isolation thermique, et ayant solidairement décidé́ de ne pas utiliser de produits chimiques (laine de verre ou mousse projetée) car la nature doit être préservée, nous avons décidé́ de prévoir une enveloppe protectrice pour les containers, constituée de murs en terre naturelle. Ces murs, et le plafond aussi, offriront une stabilité́ supplémentaire au container ou au groupe de containers selon le plan masse, et offriront également une isolation thermique efficace.
Ces murs pourront être édifiés par les habitants eux-mêmes qui ont l’expérience de l’auto-construction.
Ces murs en terre faciliteront enfin, et c’est important, une parfaite insertion au site, en hommage aux habitants et à leur cadre de vie traditionnel. Que d’avantages que les tentes ne peuvent offrir ! Et puis ne pas oublier que si le provisoire dure, les containers dureront aussi ».