Dans ce numéro, il est question du travail admirable qu’effectue, dans le sud marocain, l’architecte et anthropologue marocaine Salima Naji.
Contrairement à beaucoup de ses confrères qui se contentent d’apprécier l’architecture vernaculaire et n’hésitent pas à en parler abondamment dans diverses tribunes, Salima Naji allie le geste à la parole et n’hésite pas à faire de ces contrées éloignées du sud marocain, à la fois son lieu de vie, de travail, de recherches et d’investigations.
Son labeur dans ces contrées, certes peu rémunérateur sur le plan financier, lui procure, à l’échelle réelle, un terrain d’expérimentation, pour démontrer que l’approche contextuelle, qui est la sienne, peut parfaitement répondre aux enjeux de cette architecture soutenable, appelée à cor et à cri par les chantres de la défense de l’environnement. Soutenable, pour reprendre la terminologie anglaise (sustainability) ou espagnole (sostenible) et non pas durable comme nous l’avons malencontreusement hérité, par ricochet, de notre ancien « protecteur », la France; ce qui entretient une certaine confusion avec la notion de résistance et de pérennité des matériaux dans le temps, et reste éloigné du propos évoqué.
Cette architecture soutenable, sous-entend qu’il n’est pas possible de construire sans causer de dégâts à mère nature. Dégâts qui peuvent, du reste, être corrigés par le temps…long. La question est de savoir où positionner le curseur pour que ces dommages soient acceptables et gérables, car il est évident que la marche du monde nécessitera toujours de l’acier, de la céramique, du plâtre, du béton, etc.
À propos de ce dernier matériau, il fait également l’objet d’un dossier dans ce numéro, notamment à l’occasion ma visite à Paris d’un rendez-vous mondial triennal le WOC, World of Concrete, qui s’est tenu au mois de mai en même temps que le salon INTERMAT.
Le béton qui s’est approprié, sans autre forme de procès, les performances de l’architecture moderne au XXème siècle est en train de connaître des avancées spectaculaires.
Du béton vert à celui connecté et recyclé, il évolue et a démontré qu’il peut prendre sa place dans cette économie circulaire que les experts appellent de leurs vœux.
Les grandes métropoles, les amphithéâtres, les ponts, les viaducs et autres barrages, les passages piétons et toutes les infrastructures nécessaires à notre inéluctable développement, ont besoin de ce matériau dont les premières expérimentations datent de l’époque pharaonique et l’ont vu se perfectionner à l’époque de la Rome antique. Imaginer un monde sans béton relève de l’utopie.
Mais, imaginer donner une place à la terre et à la pierre, ces matériaux dits de collecte, là où ils sont en abondance, relève aussi du bon sens. Celui dont Salima Naji a fait preuve en assurant la stabilité et la pérennité du centre culturel des Ait Ouabelli, puisqu’elle l’a bien érigé sur de solides fondations en béton.
Les marocains dont on reconnait, à l’instar des citoyens de tous les pays, une multitude de défauts et de tares, ont cependant deux qualités unanimement reconnues : l’hospitalité et le sens du consensus. Alors, au lieu d’opposer le pot de terre au pot de béton, ce dernier ne peut-il
pas tout simplement faire une place au premier dans son giron ? Auquel cas, le titre de cet édito serait : le pot de terre dans le pot de béton !
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n°162 – Juin 2018
Fouad Akalay
