Les nombreux projets de végétalisation envisagés par toutes les métropoles, les collectivités et les villes sur tout le territoire, sont confrontés à diverses problématiques très engageants, dont celle-ci : quelles sont les essences d’arbres à planter aujourd’hui pour résister au climat de demain ? Un climat plus sec, plus chaud durant des périodes s’étendant du printemps à l’automne. L’été 2022 nous donne un avant-goût de cette situation, qui pourrait bien se reproduire cette année. Transformons la en opportunité, en étudiant les espèces en place sur différents territoires au regard de leur résistance au stress hydrique, et espérons que les résultats pourront aider à orienter nos choix. Pour ce faire, nous avons étudié le comportement d’un million d’arbres urbains, correspondant à plus de 800 espèces différentes, durant les trois derniers étés. Voici un premier retour sur cette étude.
Le cadre de l’étude : la résistance au stress hydrique
Comme tous les organismes vivants, les arbres ont un besoin vital d’eau. Sans une ressource en eau suffisante, leur croissance sera limitée, leurs apports écosystémiques seront restreints et leur survie sera en jeu. Voyez ainsi comment ce savonnier voit sa capacité de rafraîchissement reprendre sa vigueur au lendemain d’un arrosage, alors que la veille, il avait cessé toute évapotranspiration.
fig. 1 – effet de l’arrosage sur le comportement d’un savonnier durant l’été 2022
La sécheresse que nous connaissons actuellement laisse craindre de lourdes conséquences pour le printemps et l’été. Des conditions climatiques qui risquent fort de devenir le régime standard des années à venir. Il est donc primordial d’identifier les espèces qui résisteront le mieux, qui souffriront le moins et qui auront donc les plus grandes chances de se développer et de perdurer.
Diverses ressources sont accessibles pour aider les collectivités et tous les acteurs du verdissement afin de choisir des essences adaptées, comme SESAME du CEREMA ou Canographia sur Lyon. Pour notre part, nous nous sommes intéressés à la résistance des espèces au stress hydrique.
Cette étude a démarré l’année dernière, avec l’analyse du stress hydrique à l’arbre dans différents parcs urbains. À titre d’illustration, voici une comparaison du stress hydrique (caractérisé à partir de l’indice NDWI2 à l’arbre sur le patrimoine arboré de Bordeaux entre juillet 2021 et juillet 2022.
fig.2 – Comparaison du stress hydrique des arbres sur le coeur de Bordeaux entre juillet 2021 et juillet 2022
Deux voies ont été poursuivies :
- La première a consisté à suivre le stress hydrique des arbres de manière dynamique, comme ceci a été réalisé sur Bordeaux Métropole, avec un suivi du stress hydrique du patrimoine arboré de mai à septembre, à partir de données satellites
- La seconde a consisté à appliquer la même méthode aux patrimoines arborés documentés (disposant de la localisation des arbres et à tout le moins du genre et de l’espèce des arbres) sur trois étés aux caractéristiques différentes :
- 2020 chaud sans sécheresse excessive (en général)
- 2021 plutôt frais, avec de rares périodes de chaleur et une forte humidité
- 2022 très chaud et très sec
Un travail complété par un monitoring systématique du comportement journalier des arbres, qui ne sera pas détaillé ici.
Les données utilisées
Nous avons travaillé sur des patrimoines arborés documentés, disponibles en opendata sur différents sites de collectivités ou de l’état.
Au total, notre étude porte sur un peu plus d’un million d’arbres urbains, représentant plus de 800 espèces. La carte ci-dessous présente les territoires concernés sur un vaste espace allant de Bruxelles à Montpellier et de Bayonne à Strasbourg. Ce premier échantillon permet de couvrir divers climats et typologies d’espaces : océanique, méditerranéen, continental, plaine, montagne…
fig. 3 – Répartition du million d’arbres étudiés
Tous les patrimoines (dans leur version accessible en ligne) ne disposent pas du même niveau de documentation, mais cela pourra être complété ultérieurement. Les paramètres accessibles dans l’étude concernent :
- L’espèce bien évidemment
- Le lieu de plantation : rues, parcs, jardins, …
- La nature du sol
- L’âge
- La taille du houppier
- ….
L’analyse multiparamétrique qui en résulte est donc très large et riche d’informations. Nous ne présentons ici que quelques exemples d’exploitation.
Quelques résultats et outils disponibles
L’ensemble des données est accessible via un outil statistique permettant de choisir le territoire, l’espèce et la période d’analyse, et les paramètres étudiés. Il est associé à une cartographie SIG, dont voici deux vues de Strasbourg et de Lyon.
fig. 4 – Cartographie du stress à l’arbre sur Strasbourg et Lyon
Prenons le cas du patrimoine arboré de l’Eurométropole de Strasbourg, comptant quelques 80 000 sujets. Voici la répartition de population de 4 espèces suivant le niveau de stress hydrique à fin juillet 2021 :
fig. 5 – Sensibilité au stress hydrique des populations de 4 essences sur Strasbourg à l’été 2021
Il met clairement en évidence des comportements sensiblement différents : la population d’aulnes glutineux présente la plus faible exposition, au contraire du charme houblon dont la population est centrée sur un niveau de stress plus important.
Il faut cependant aller plus loin. Les premières analyses cartographiques indiquaient clairement, et sans surprise, que les arbres d’alignement isolés souffraient plus que les arbres groupés ou de parcs. La répartition du stress moyen des 636 espèces présentes sur le territoire de Bordeaux Métropole en fonction du taux d’« arbres de rue » au sein de leur population montre la même tendance :
fig. 6 – Distribution du stress hydrique moyen en fonction du ratio d’arbres d’alignement
La distinction doit donc être faite à tout le moins entre arbres de rues et autres configurations.
Si l’on s’intéresse toujours au patrimoine arboré de Bordeaux-Métropole, voici les répartitions de population de 4 espèces en fonction de la répartition arbres de rues / autres :
fig. 7 – Distinction entre arbres de rues et arbres de parcs et jardins
Toutes espèces confondues, le stress hydrique est plus marqué sur les populations d’arbres de rue. Globalement, la répartition de population par niveau de stress glisse fortement entre 2021 et 2022 et ce, quels que soient les territoires.
Ce glissement est beaucoup plus marqué sur les arbres de « rues » que sur les arbres de « parcs et jardins ». Ainsi, la part d’arbres de rues en stress élevé s’est accrue de 43% alors qu’il n’a cru « que de » 20% pour les autres sites d’implantation.
fig. 8 – Comparaison des distributions de population par niveau de stress entre 2021 et 2022 suivant la situation des sujets.
À l’échelle de l’espèce, le constat est similaire. Les deux derniers graphes montrent ainsi le détail de l’évolution de répartition des populations pour 4 espèces entre 2021 et 2022. Là encore, celles qui sont majoritairement présentes dans les rues souffrent plus que celles des autres espaces. Le glissement est ici plus marqué pour l’Acer buergerianum, majoritairement présent dans les rues.
fig. 9 – Comparaison de 4 essences entre les étés 2021 et 2022
Conclusion et perspectives
Cette étude a débouché sur la création d’une base de données déjà assez conséquente (avec jusqu’à 27 paramètres par arbre, pour un million d’arbres sur 3 années) que nous souhaitons continuer à enrichir avec de nouveaux patrimoines, sur des territoires variés. Toute proposition en ce sens sera la bienvenue !
L’analyse du comportement d’une espèce particulière en fonction des territoires est également intéressante, de même que son évolution au fil des années.
L’exploitation de ces informations, croisées avec les autres données disponibles sur les arbres (Sesame,…) d’une part, et avec le monitoring local des espèces d’autre part, constitue un support aux projets de végétalisation afin de proposer les palettes les mieux adaptées à chaque site.
Article publié sur Construction21 France
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