La gestion des déchets et notamment ceux de la décharge de Médiouna, plus grand dépotoir du Maroc, focalise l’attention. C’est devenu aujourd’hui un sujet d’actualité qui interpelle vivement les citoyens marocains et la société civile environnementale en particulier. Les associations s’organisent, mais cela semble un vœu pieu de vouloir lutter contre ce fléau tant cette problématique est ancienne et que les débats se sont avérés stériles à ce jour.
C’est pour ouvrir un débat plus que nécessaire, à l’occasion du World Cleanup Day, que l’Alliance marocaine pour le climat et le développement durable (AMCDD) a organisé récemment une conférence, sous le thème « Quel choix pour la valorisation durable des déchets à Casablanca ? ». Cet évènement a été organisé en partenariat avec l’Association des Enseignants des Sciences de la Vie et de la Terre au Maroc (AESVT – Maroc), l’OPEMHT (Observatoire pour la Protection de l’Environnement et des Monuments Historiques de Tanger) et la COVAD (Coalition pour la valorisation des déchets). Les participants ont insisté sur la nécessité de la mise en place d’une nouvelle stratégie nationale de gestion des déchets, afin de trouver une solution durable à l’avenir de la collecte et de la gestion des déchets au Maroc, et dans la métropole casablancaise en particulier.
L’évolution rapide de l’urbanisation a très vite favorisé l’émergence de modèles de production et de modes de consommation peu soucieux de la protection de l’environnement.
La priorité donnée par les pouvoirs publics et les décideurs locaux aux besoins de développement socio-économique des citoyens et citoyennes, a damé le pas aux besoins de préservation des écosystèmes naturels et à la qualité de vie dans les villes.
Les villes d’aujourd’hui et les générations futures se sont retrouvées face à un défi de taille qu’est la difficulté de gérer de manière durable les quantités de déchets de plus en plus importantes, et dont les effets et les externalités négatives se sont révélés considérables sur l’état de l’environnement, la santé et les équilibres financiers des territoires.
Aujourd’hui, force est de constater que la gestion de la collecte des déchets au Maroc, basée sur « tout en décharge », est un échec total dans tout le Royaume. Ce modèle de gestion n’est plus durable ; il engendre des bombes à retardement sociales et environnementales et constitue un des principaux freins à l’attractivité des villes pour les investisseurs et à la main d’œuvre qualifiée nationale et internationale. Conscient de cette situation, l’ensemble des participants de cette journée ont mis l’accent sur les limites de l’approche « Collecte & Enfouissement » dans des décharges anarchiques ou contrôlées, tant sur le plan économique que social, sans oublier ses impacts négatifs sur la santé et l’environnement.
L’AMCDD estime que la mise en œuvre de la loi n°28.00 relative à la gestion des déchets de 2006 et le programme national des déchets ménagers (PNDM), de 2007, qui est actuellement dans sa troisième phase, a permis des avancées significatives dans le domaine de la gestion des déchets, mais sans pour autant atteindre tous les résultats escomptés. A titre d’exemple, sur 72 décharges contrôlées prévues à l’horizon 2020, seules 24 ont été mises en place.
Dans ce cas, il s’est avéré nécessaire d’élaborer une vision, une stratégie participative, des approches, des moyens et actions, adaptés et innovants, prenant en compte les spécificités des territoires, des villes, des villages et des quartiers. La mise en œuvre de cette stratégie devrait être accompagnée par un renforcement des structures institutionnelles responsables de la gestion des déchets au niveau central et territorial, et des ressources humaines et matérielles nécessaires, afin de développer des programmes et plans d’action à la hauteur de l’ampleur de la problématique. A ce titre, les récents développements du dossier de collecte des déchets et l’actualité de la décharge de Médiouna de la Ville de Casablanca, la métropole économique du royaume, a mobilisé toute l’attention de l’opinion publique et particulièrement de toutes les composantes de la société civile environnementale nationale et locale.
Située à une vingtaine de kilomètres au sud du Grand Casablanca, la décharge de Médiouna est sans aucun doute, le cas pertinent à traiter consciencieusement. Cette dernière reçoit chaque jour près de 3500 tonnes de déchets ménagers qui y sont portés par les camions des entreprises de collecte. Ces déchets sont enfouis par la méthode classique de l’enfouissement, générant ainsi des nuisances et des effets néfastes sur l’environnement et la santé. Devenue presque saturée, elle devrait être réhabilitée et fermée. A cet effet, le conseil de la ville de Casablanca a lancé, le 25 juin, un appel international à manifestation d’intérêt (AMI) pour choisir le futur gestionnaire et une nouvelle solution technologique d’élimination des déchets.
La moisson a été bonne et, à ce jour, 104 entreprises ont soumissionné pour la collecte/nettoiement et plus de 70 pour la gestion de la décharge. Ceci dit, les termes du cahier des prescriptions spéciales présentés par ces entreprises, et analysés par l’AMCDD, montrent l’orientation globale du déléguant vers l’option de construction d’une usine d’incinération pour l’élimination des déchets collectés.
L’ensemble des membres de l’AMCDD ont considéré, à l’unanimité, que cette option n’est pas la meilleure technologie pour la valorisation énergétique durable des déchets, car, au-delà de son coût élevé – aux niveaux de l’investissement comme du fonctionnement – et de la complexité de la gestion de la qualité des flux entrants et sortants, l’incinérateur est une source d’émissions de polluants et de gaz toxiques dont l’impact sur la santé publique est sérieux.
L’AMCDD a organisé à cet effet, plusieurs rencontres : des conférences nationales et internationales, des visites de terrain, de modèles et des technologies internationales, et a plaidé pour l’ouverture d’un dialogue civil avec les pouvoirs locaux autour des options et des technologies appropriés à la gestion de la future décharge.
Selon Abderrahim Ksiri, président de l’Association des enseignants des sciences de la vie, et coordinateur de l’AMCDD, il est impératif d’ouvrir le débat avec les spécialistes, les acteurs et décideurs, ainsi qu’avec la société civile, dans le but d’inciter le conseil de la ville de Casablanca d’envisager une technique de valorisation des déchets, qui tienne compte des paramètres économiques, sociétaux et environnementaux de la région. Par ailleurs, l’AMCDD appelle fortement les décideurs à développer une approche de gestion globale basée sur la construction de l’économie circulaire qui donne des alternatives à l’incinération totale et à la mise en décharge, sans empêcher la valorisation énergétique des déchets, mais accélère le développement du recyclage, le tri à la source et la valorisation des déchets.
Cette approche doit être inspirée des bonnes pratiques et des tendances des pays les plus avancés, tels que l’Allemagne ou l’Autriche qui considèrent les déchets comme une source d’exploitation, de profit et de création d’emploi. L’AMCDD propose à titre d’exemple, de privilégier en premier lieu l’exploitation de la valeur énergétique des déchets non recyclés ( à travers le développement des combustibles alternatifs (RDF : Residual Derived Fuel) via le traitement mécano-biologique des déchets (MBT en anglais), la méthanisation).
Ces technologies MBT basées sur le tri et le séchage en ligne des déchets, ne nécessitent aucune source d’énergie fossile et permettent la réutilisation des détritus en tant qu’alternative aux énergies fossiles. En définitive, malgré l’inscription du principe de la valorisation énergétique durable et inclusive des déchets, dans la stratégie nationale de développement durable, le chemin est encore long. En attendant les riverains de ces décharges à ciel ouvert continueront de subir le calvaire à cause des relents et odeurs dégagées.
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n°166 – Novembre 2018