La maison à énergie positive, un modèle obsolète ? Le projet COMEPOS, qui étudie la conception de maisons zéro énergie, a publié récemment ses résultats : il ne serait pas pertinent de chercher l’énergie positive à tout prix, il faudrait plutôt décarboner les réseaux énergétiques. Entretien avec Etienne Wurtz, Directeur de Recherche au CEA-INES (Institut National de l’Energie Solaire), pilote du projet COMEPOS. Etienne Wurtz interviendra en novembre prochain lors du colloque Build & Connect sur la table ronde “le bâtiment acteur d’un réseau décarboné”, pour continuer cette réflexion.
Qu’est-ce que le projet COMEPOS ?
Etienne Wurtz : Le projet Conception et Optimisation de Maisons à Énergie POSitive (COMEPOS) a été lancé dans les années 2010, dans le cadre de l’arrivée de la RT 2012. Il devait aider à répondre aux enjeux opérationnels liés à l’évolution de la réglementation. En effet, à l’époque, il a été envisagé que tous les bâtiments devraient être à énergie positive d’ici 2018. Or, cela semblait à l’époque difficilement atteignable pour les acteurs. C’est pourquoi nous avons lancé ce projet, avec pour objectif de réaliser 25 démonstrateurs sur des maisons individuelles, dont 10 constructions. 24 des opérations sont livrées aujourd’hui.
COMEPOS est porté par de nombreux partenaires universitaires, académiques (CNRS, CSTB, ARMINES), constructeurs (I.G.C, Pôle Habitat de la FFB, tradiMAISONS, etc.) et industriels (POUGET Consultants, VELUX, Saint Gobain, etc.). Il est coordonné par le CEA et l’INES. Cette équipe pluridisciplinaire devait permettre de donner aux constructeurs les connaissances et compétences pour valider les propositions des industriels, grâce à une approche quantitative des solutions.
Nous avons mené des mesures pendant deux ans sur les démonstrateurs, afin d’avoir des résultats quantifiés. Aujourd’hui, le temps est au retour d’expérience.
24 maisons ont été livrées dans le cadre du projet à ce jour. Quels enseignements en tirez-vous ?
Etienne Wurtz : Grâce à nos travaux, nous avons pu observer qu’il est assez facile d’avoir un bilan énergétique positif en maison individuelle. Il suffit d’installer des équipements de production. De plus, cela peut se faire à un coût raisonnable. L’énergie produite en surplus par la maison peut être revendue, pour amortir l’investissement initial. Enfin, les constructeurs et les industriels ont les compétences nécessaires pour ce type de projet.
Cependant, nous avons identifié trois défis principaux pour des maisons à énergie positive :
- La qualité de l’air. Bien souvent, cette dernière fait défaut, notamment dans la chambre à coucher, peu aérée la nuit. Nous avons mesuré des taux autour de 3 000 voire 4 000 ppm dans les chambre à coucher durant le nuit, alors que la norme est fixée à 1 200 ppm.
- Le confort d’été est assez mal géré. Cela s’explique notamment par une mauvaise utilisation de la ventilation naturelle.
- Le stockage énergétique. Il n’existe pas de modèle économique pour le stockage électrique, ce qui freine son développement.
En plus de ces défis, les mesures nous ont permis de dégager deux enseignements principaux sur la consommation et la production énergétique. D’une part, nous avons pu constater que le chauffage consomme toujours plus que l’eau chaude, peu importe le travail mené sur l’isolation. D’autre part, le photovoltaïque est l’équipement qui permet d’atteindre le plus simplement l’énergie positive.
Vous dites que le modèle du “zéro énergie” n’est plus essentiel. Pourquoi ? Quelles sont les priorités à suivre pour construire les bâtiments de demain ?
Etienne Wurtz : Pendant le projet, nous nous sommes demandé pourquoi il fallait absolument faire de l’énergie positive. Nous avions devant nous un modèle certes entièrement électrique, à zéro énergie, mais qui produisait toujours beaucoup de carbone. Cela s’explique par le manque de stockage inter-saisonnier. En effet, un bâtiment aura beau produire de l’électricité en été grâce au photovoltaïque, s’il ne peut pas réutiliser le surplus en hiver, il devra consommer d’autres énergies pour couvrir ses besoins. Cela implique de recourir au nucléaire mais aussi aux centrales fioul, gaz ou charbon quand le premier ne suffit pas. Ainsi, même dans les maisons dites propres, ce type d’énergie est consommé en cas de pic. Or, c’est bien sur les émissions carbone que nous devons intervenir pour limiter le changement climatique.
La priorité à suivre, d’après nos résultats, n’est donc pas le zéro énergie mais plutôt le zéro émission carbone dans la production énergétique. Cela nécessite de créer un nouveau modèle énergétique global décarboné, basé sur un réseau performant. C’est un changement d’échelle total. Si le réseau a peu de CO2, y faire appel lors des pics aura un impact moins élevé sur le climat. Les bâtiments ont un rôle central à jouer ici. En effet, en prenant l’angle du CO2, nous nous apercevons qu’un bâtiment émet beaucoup plus sur toute sa durée de vie que pendant sa construction, à cause de sa consommation énergétique. Le bâtiment doit devenir un consomm’acteur, il doit trouver des solutions pour limiter sa demande d’énergie carbonée sur le réseau.
Justement, comment limiter la demande des bâtiments sur le réseau ?
Etienne Wurtz : Il existe de multiples solutions pour limiter cette demande. Le bâtiment doit pouvoir s’effacer lors des pics de consommation. Il peut s’agir de couper le chauffage par exemple. Cela ne devrait pas impacter le confort de l’occupant : dans une maison très bien isolée, la température baissera peu en cas de coupe temporaire. De plus, si le bâtiment a des équipements de production énergétique, par exemple du photovoltaïque, il peut vendre le surplus aux bâtiments voisins pour qu’ils l’utilisent lors des pics. Enfin, il est possible d’utiliser les voitures électriques comme moyen de stockage pour le surplus d’énergie.
Finalement, nous devons construire des bâtiments capables d’échanger avec leurs voisins, de s’effacer, de stocker son énergie. Ce travail est indispensable : les bâtiments représentent 66% de la consommation électrique française aujourd’hui. Dans le futur, ce chiffre devrait monter à 80% (cela comprend les voitures électriques qui seront rattachées aux bâtiments).
Qu’est-ce qu’une maison performante selon vous ?
Etienne Wurtz : Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’atteindre le zéro énergie pour être qualifiée de maison performante. Une passoire énergétique consomme jusqu’à 400 kwheure/m²/an alors que la maison type COMEPOS, elle, se situe entre -30 et +30 kwheure/m²/an. Pour les maisons un peu au-dessus de 0, cela demande beaucoup d’effort pour diminuer les kwheure/m²/an restants, pour peu d’évolution. Cela n’a pas tellement d’intérêt. Toutes les constructions issues de la RE 2020 seront performantes, même si elles n’atteignent pas le zéro énergie. L’important est surtout de garantir une cohérence dans les différentes consommations et la continuité de l’isolation du sol, des parois, du vitrage, etc., afin d’éviter les ponts thermiques.
Ce qui compte, c’est vraiment le bas carbone. Si la conception a un rôle à jouer (recours à des équipements et matériaux avec un faible impact carbone), l’enjeu se situe surtout dans les émissions du bâtiment sur sa durée de vie. La réglementation actuelle, dont la RE 2020, se concentre encore trop sur la conception. De plus cela concerne essentiellement les opérations de construction du neuf, alors même que l’essentiel de la consommation énergétique et donc des émissions vient du parc existant.
Quelles sont les évolutions réglementaires nécessaires pour la construction selon vous ?
Etienne Wurtz : Deux évolutions importantes me semblent nécessaires. D’une part, il faut une réglementation par retour d’expérience au lieu de la réglementation conventionnelle que nous avons actuellement. Aujourd’hui, quand un bâtiment est conçu, le maître d’œuvre va estimer sa consommation conventionnelle en kwh/m²/an grâce à un logiciel qui s’appuie sur les réglementations. Cependant, lors de la livraison, la consommation réelle concernant l’ensemble des usages énergétiques peut être toute autre. Cela génère de l’incompréhension pour le client, qui peut subir de l’inconfort en été en plus des factures énergétiques plus importantes que prévues.
De plus, la future réglementation doit s’élargir et regarder, non plus uniquement le bâtiment, mais également l’environnement proche, les échanges avec les autres bâtiments, les réseaux énergétiques auquel il est raccordé pour réaliser un bâtiment décarboné par ses capacités à s’effacer, à s’interfacer avec les véhicules électriques et enfin à intégrer des énergies renouvelables localement tout au long de sa vie.
Article publié sur Construction21 France
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