L’installation des batteries de stockage est un enjeu de taille pour valoriser des sources d’énergies aussi intermittentes que le soleil ou le vent. Panorama du marché français sur le sujet.
Le stockage de l’énergie excédentaire produite par les sources d’énergie renouvelable, le vent et le soleil notamment, fait partie de ces casse-têtes qui en freinent encore, à date, le développement. L’installation de batteries de stockage est donc un enjeu de taille pour valoriser au mieux ces sources d’énergie intermittentes, en permettant de maîtriser au mieux la fluctuation de leur production et en l’adaptant à la demande des consommateurs. C’est d’autant plus vrai que le gouvernement français s’est engagé sur un objectif de 23% de la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique du pays en 2020… et qu’il n’en était qu’à 14% en 2016.
Batteries à électrodes solides, à circulation ou piles à combustibles
L’électricité étant très difficile à stocker, il est nécessaire de la convertir sous une autre forme d’énergie pour la reconvertir en électricité et la restituer au moment opportun. Ce sont, à cette fin, trois types de technologies qui ont émergé : les batteries à électrodes solides – dont le Lithium – Ion, les batteries à circulation et les piles à combustible (associées à des électrolyseurs). Les premières ont une faible puissance de stockage et opèrent le plus souvent à l’échelle d’une maison individuelle ou d’un bâtiment. Les deux autres sont plus faciles à déployer au sein de grands sites industriels car elles peuvent stocker une plus grande quantité d’énergie.
Si le marché est encore très loin d’être mature, les projets et expérimentations sont nombreux en France, insufflés par le triptyque collectivités locales, grands groupes et start-up. Dans des zones insulaires comme c’est le cas des projets Pegase d’EDF à la Réunion et Myrte du CEA et d’Areva en Corse, mais aussi en métropole, avec les projets Nice Grid et Venteea d’Enedis ou encore IssyGrid de Bouygues Immobilier.
Le marché bien qu’encore embryonnaire fait saliver nombre d’industriels, comme les constructeurs automobiles qui planchent sur le futur de la voiture autonome et les géants de l’électronique grand public. Même un acteur comme Total a décidé de prendre le virage, en témoigne l’acquisition du constructeur de batteries Saft pour la bagatelle… d’un milliard de dollars en 2016. Si à peine 5% de l’activité de Saft concerne aujourd’hui le stockage de l’énergie, le pétrolier espère que le développement de synergies avec sa nouvelle filiale lui permettra de porter à 20% la part des énergies renouvelables à l’horizon 2035.
Le stockage sous forme d’hydrogène : la solution ?
L’effervescence autour du stockage fait également émerger tout un écosystème de start-up. Sylfen, une start-up grenobloise incubée au sein du CEA, a ainsi développé une offre innovante composée d’une solution de production d’électricité locale et d’un stockage sous forme d’hydrogène. « Nous nous sommes officiellement lancé en 2014, après 10 ans de R&D, alors que le marché était encore balbutiant », nous explique François-Eudes Ruchon, responsable marketing de la société qui signifie Systèmes Locaux de Fourniture d’Energie. La start-up, qui inaugure son premier prototype en novembre, espère rapidement pouvoir sortir des jupons du CEA dont elle utilise encore les infrastructures.
« L’objectif, c’est de pouvoir lancer la première ligne de production et d’assemblage du groupe. En vue de tester une dizaine de ‘smart energie hubs’ en 2019 ». Entre quatre et cinq sites ont déjà été repérés. Car Sylfen veut être le plus exhaustif possible dans ses premières expérimentations en conditions réelles. «Bâtiments tertiaires, académiques, logements collectifs, piscines, bibliothèques… nous sommes friands de toutes les typologies.» Seul exigence, que le bâtiment fasse plus de 10 000 m² pour donner tout son sens à la puissance de stockage. « Il y en a pléthore en France », rassure François-Eudes Ruchon. Pour arriver à ses fins, Sylfen ambitionne de lever entre 3 et 4 millions d’euros auprès de spécialistes du capital-risque et d’industriels. Pas un luxe, à court-terme, la question de la rentabilité de ce type de projets n’ayant pas encore été résolue. « Le coût des batteries est encore trop élevé et le prix de l’électricité encore trop bas pour envisager la rentabilité du stockage par batterie à court ou moyen-terme », nous explique Alexandra Perrin, consultante au sein du cabinet Yele Consulting et co-auteure d’une publication sur le sujet.
En parallèle, la PME genevoise Aaqius envahit le marché mondial avec ses batteries Stor-H. Facile à transporter, elles permettent de stocker l’hydrogène sans pression, et d’alimenter des moteurs électriques de tous types de véhicules. Le tout proprement, sans émissions de gaz à effet de serre. Depuis 2015, Aaqius a signé des contrats juteux avec le Maroc, la Chine et récemment Dubaï, ainsi que d’autres du même type qui sont en cours de négociation.
En France, bientôt la rentabilité des services de stockage ?
Une expérimentation menée par l’IFP-EN et le Pôle Synéo sur différents services de stockage dans les Hauts-de-France a montré que les services rendus aux consommateurs finaux d’électricité ne permettent pas d’assurer seuls une rentabilité de l’actif de stockage. Ils doivent être nécessairement associés à des services rendus aux gestionnaires de réseaux, plus rémunérateurs. Parmi les scénarios rentables simulés, ces services « réseaux » représentent entre 80% et 90% des revenus totaux générés par les services rendus par le dispositif de stockage. Mais ça va en changeant avec une augmentation de 27% entre 2010 et 2015 du prix de l’électricité pour les particuliers. Cette hausse devrait se poursuivre durant les 15 ans à venir… Alors qu’à l’inverse, Bloomberg New Energy Finance estime que le coût des batteries lithium – ion baissera de 77% entre 2010 et 2018. Pour François-Eudes Ruchon, les voyants sont au vert. « La rentabilité de ce type de projets n’est qu’une affaire d’années ».
Un contexte règlement et économique de plus en plus favorable
Il faut dire que le contexte règlementaire est lui aussi favorable puisque le gouvernement français fait beaucoup afin de créer un cadre favorable à l’émergence d’une filiale française du stockage. C’est le sens du programme de la Nouvelle France Industrielle et des évolutions réglementaires initiées en février 2017 qui permettent aux acteurs académiques et industriels français, performants dans le domaine du stockage d’énergie, d’engager de nombreuses initiatives. « L’énergie devient une opportunité de diversification et d’attraction économique pour des collectivités locales. Des acteurs comme la CCI d’Amiens ou la communauté d’agglomération de La Rochelle sont particulièrement proactifs sur le sujet des éco-quartiers », abonde François-Eudes Ruchon. Car ce type d’installations peut avoir une incidence directe sur d’autres problématiques, déjà bien concrètes. Notamment une réduction drastique de la facture énergétique en diminuant les pics de consommation très coûteux pour le système électrique. « Cela limite le besoin de renforcement des réseaux pour gérer ces pics et permet d’être moins gourmand en moyens de production thermique très polluants », confirme Alexandre Perrin.
Enfin, il y a un vrai enjeu de sécurisation de l’approvisionnement électrique pour les sites les plus sensibles comme les hôpitaux et les aéroports qui doivent être capables, même en cas d’avarie, d’assurer la continuité de leur réseau électrique et ont donc besoin d’être autosuffisants lorsque la situation l’impose. Autre sujet :
l’émergence de « micro-grids », des réseaux isolés de petite taille dans lesquels s’intègre du stockage par batterie. C’est le sens d’une expérimentation menée du côté de Brooklyn où les habitants stockent et vendent leur énergie solaire.
Source : EKOPO
Journaliste : Léon Guellec
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n°157 – Janvier 2018