Laila El Ghazouani est architecte diplômée de l’ENA de Rabat. Après une expérience en agence d’architecture et d’urbanisme, elle se lance dans un doctorat en architecture. Au cours de ce périple, elle a été lauréate du prix l’Oréal-Unesco et a pu bénéficier du programme Fulbright pour un travail de recherche à la NASA. Aujourd’hui, elle s’engage dans la voie de la recherche scientifique en parallèle à ses missions d’enseignement. Elle fait le point sur les villes marocaines en matière de développement durable.
« Il appartient au monde d’inventer les modes de développement permettant à nos populations d’accéder à un mieux-être tout en préservant les conditions de sa durabilité. Nous devons, tous, œuvrer dans ce sens et écouter les créatifs, les jeunes, ceux qui innovent et qui préparent notre monde de demain. » (S M le Roi Mohammed VI, Dakhla 18 Mars 2016)
En collaboration avec un chercheur de l’agence spatiale américaine NASA, des scientifiques marocains s’intéressent au développement durable de leurs villes et en examinent les 25 plus grandes dans le cadre des objectifs des Nations Unies.
Face à la poussée démographique, à l’extension urbaine et aux plans d’émergence économique, le Maroc reste conscient des enjeux du développement durable. Le Maroc a ratifié l’agenda 2030 et les 17 objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, objectifs qui pourraient changer le monde. Une volonté qui s’est traduite par des partenariats multi institutionnels intégrant le Haut-Commissariat au Plan (HCP) et les agences onusiennes afin d’asseoir un plan-cadre pour le suivi des ODD. Cette volonté permettra le renouvellement des fondements de la politique urbaine et la mise en place d’une cohérence urbaine qui repensera les relations entre les noyaux urbains et les territoires périurbains et ruraux, tant en vue de partager les ressources naturelles que les valeurs du bien être et du mieux vivre.
L’équipe est constituée du professeur Lahouari Bounoua, un spécialiste du climat du Laboratoire des Sciences Biosphériques de la NASA, du professeur Mohammed Messouli de la faculté des sciences Semlalia de l’Université Cadi Ayyad, et de chercheurs marocains : Najlaa Fathi de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, Meryem El Berkaoui de l’Université Mohamed V de Rabat, et Laila El Ghazouani de l’Ecole Nationale d’Architecture de Rabat.
L’équipe a questionné la durabilité du développement, au sens Onusien, d’un échantillon élargi de 25 villes marocaines sur la décennie 2003 à 2013 pour en tirer des résultats concluants. L’article a été publié sur les colonnes du prestigieux journal « Urban Science ». https://doi.org/10.3390/urbansci4020018
Il s’agit d’un travail original qui évalue l’indicateur du développement durable (ODD 11.3.1) dans les zones urbaines. Par sa définition, cet indicateur mesure le rapport du taux de consommation des terres pour des besoins urbains au taux de croissance de la population au cours de la même période. Croisant des données satellitaires obtenues de la NASA et des données démographiques du HCP, l’équipe a évalué simultanément l’expansion de la surface urbaine et de sa population.
En termes de résultats et contre toute attente, Mohammedia arrive en premier suivie de Casablanca ce qui reflète un taux de consommation de la surface urbaine inférieur à celui de l’augmentation de la population. Rabat, la capitale a enregistré une augmentation de l’aire urbaine et une diminution de la population. Marrakech semble s’éloigner légèrement de la ligne de développement durable par des choix urbains accompagnant la vocation touristique voulue pour la ville. Safi, la ville portuaire et salé, se positionnent très loin selon l’indicateur de durabilité par des consommations de terres importantes relatives à l’augmentation de leurs populations.
L’équipe scientifique explique cette disparité de consommation des terres urbaines et de croissance démographique par le positionnement du Maroc en tant que pays émergent. Des choix d’avenir basées sur la stabilité politique, le tourisme, l’industrie, et l’investissement en infrastructures dictent alors une consommation de terre conséquente.
Ce qui est intéressant c’est que si des villes enregistrent de bons scores en terme d’ODD la question est alors posée quant à la densité urbaine et le bien être dans ces espaces. Dans ce sens, l’étude a également examiné le taux d’utilisation des terres urbaines par habitant. Le bon choix de développement durant cette décennie a réduit la surface urbaine d’environ 42 m2 par habitant à Mohammedia et d’environ 1 m2 à Casablanca. Rabat, quant à elle, a enregistré une augmentation d’occupation de la terre d’environ 48 m2 par habitant, lui attribuant une meilleure ventilation et plus de fluidité en termes de mobilité comparé à la métropole Casablancaise.
La question est alors posée, comment définir la durabilité dans les milieux urbains ? Est ce par la densité en réduisant la surface par habitant et en optant pour la verticalité ? La densité ne risque t-elle pas d’affecter la qualité de vie dans ces villes surpeuplées ? Comment répondre à ce dilemme de besoin d’extension et de préservation des terres agricoles ?
La problématique n’est pas récente, elle a longtemps suscité les recherches en architecture et en urbanisme et les réponses sont divergentes et enrichissantes.
Une autre question s’impose dans un contexte de post-Covid19 : la ville dense n’est-elle pas plus vulnérable à la propagation des virus en cas de pandémie ? A voir le nombre stupéfiant de cas de coronavirus à New York, la ville des gratte-ciels. Cela incite donc à repenser au choix d’aménagement des villes du futur. Ce n’est pas étonnant si l’histoire des villes a toujours été marquée par des épisodes de pandémie et elle n’y échappera pas pour les années à venir.
Ces questions soulèvent une problématique à controverses qu’il s’agira de considérer et d’étudier sous divers aspects : comment assurer la durabilité des villes ou leur capacité d’accommoder une augmentation de population sans surpeuplement, sans épuisement des ressources ni de compromis sur la croissance ? La question se pose avec encore plus d’acuité notamment dans le contexte d’évacuation, de ventilation, de transport, d’ilot de chaleur urbain et confort humain.