Mohamed Jamal BENNOUNA à soutenu une thèse de doctorat de droit comparé préparée et soutenue courant 2017 à l’Université Via Domicia de Perpignan en France sous la direction du Professeur Frédéric LECLERC sous l’intitulé : « Responsabilité civile et assurance des constructeurs au Maroc : limites et carences de la législation marocaine ». Voici le résumé de cette thèse qui va certainement contribuer au développement du droit de la construction ainsi que celui de la législation au Maroc
Particularité de la thèse
Toutes les études juridiques menées à ce jour au Maroc n’ont traité que de la responsabilité contractuelle des constructeurs sans jamais, pour autant, aborder leur responsabilité extracontractuelle et encore moins leur assurance.
L’analyse et l’étude de ce type de responsabilité extracontractuelle demande, d’une part la connaissance parfaite des métiers et professions qui concourent à la réalisation d’une construction et d’autre part avoir une connaissance, du moins approfondie, des fautes commises par ces mêmes intervenants et en même temps avoir une base de données des sinistres typiques et accidents vécus sur chantier.
De part sa formation polyvalente d’ingénieur et de juriste, et d’autre part de l’exercice de son métier d’expert d’assurance et d’expert judiciaire ont permis à l’auteur de constater combien les fautes extracontractuelles des constructeurs sont nombreuses et méritent une attention particulière. L’étude et l’analyse de ce genre de faute pourrait participer à l’évolution de la législation et l’amélioration des couvertures d’assurance des constructions au Maroc.
En tant qu’ingénieur expert et juriste, le souhait du Dr Bennouna est d’exprimer un avis sur les carences de la législation marocaine dans le domaine de la construction. Il rappelle tout le long de sa thèse que les données tant financières qu’économiques montrent et démontrent d’une façon évidente la place importante et grandissante du secteur du BTP dans l’économie marocaine au point que ce dernier joue un rôle essentiel tant au niveau économique qu’au niveau social au Maroc.
Choix du sujet
Le choix du sujet s’est porté sur l’étude de la responsabilité extracontractuelle des constructeurs dans le cadre de législation marocaine tout en comparant son traitement par d’autres législations européennes ou africaines.
Le choix du sujet était d’abord motivé par l’existence actuelle d’un important contentieux entre les constructeurs et les maitres d’ouvrages de nature extracontractuelle. Ce choix repose également sur l’objectif de rechercher les explications objectives de ce contentieux dans le cadre du jeu des règles de la responsabilité des constructeurs tracées par la législation marocaine.
A cet effet, la recherche a essayé de montrer que l’étude de la responsabilité extracontractuelle des constructeurs peut être considérée comme un exemple paradigmatique pour l’étude de la responsabilité des industriels en général.
Par ailleurs, elle a essayé de démontrer les liens entre les règles applicables à ce contentieux de nature extracontractuelle et certaines règles générales portant sur la responsabilité contractuelle des constructeurs.
La problématique a été posée en partant d’une définition générale de la responsabilité des constructeurs telle qu’elle est pratiquée sur chantier et non par la loi. Cette approche conduit nécessairement à omettre l’étude de certains points de droit, certes indissociables de l’étude de la responsabilité des constructeurs. Enfin, la thèse a su expliquer le contentieux naissant entre les constructeurs et les maitres d’ouvrages par le jeu des règles de la responsabilité des constructeurs dans le cadre du D.O.C (en l’absence pour le moment d’un code de la construction) ainsi que dans celui du code des assurances.
Le choix du sujet a été motivé aussi par les types de réponses que peut apporter le secteur d’assurance à cette problématique de la responsabilité extracontractuelle des constructeurs envers les tiers après réception des travaux de construction.
Le secteur du BTP dans le contexte socioéconomique du Maroc
Du fait de son rôle moteur de l’économie, le BTP agit comme un véritable levier de croissance. Passé la consolidation actuelle, le secteur du BTP devrait continuer son développement dans les années à venir, du fait de la conjonction de plusieurs facteurs endogènes :
• L’ouverture de l’économie nationale sur le reste du monde;
• Les différentes mesures mises en place par l’État marocain pour dynamiser l’attractivité du secteur (Mise en place d’outils de financement, avantages fiscaux, programmes des villes nouvelles et politique du logement social);
• La croissance démographique et son impact sur l’évolution urbaine en termes de logements et d’infrastructure socioéconomiques;
• La mise en chantier de grands projets structurants (routes, autoroutes, voies ferrées et gares, ports, infrastructures publiques);
• La volonté délibérée de conquérir des marchés de l’Afrique de l’Ouest jumelée à l’exportation de l’ingénierie marocaine.
Activité stratégique pour l’économie du Maroc, le secteur du bâtiment et travaux publics contribue à hauteur de 6,6% du total des valeurs ajoutées aux prix courants et 22,3% de celles relatives aux activités secondaires entre 2008 et 2013. Il emploie près d’un million de personnes soit 9,3% de la population active occupée, dont 11% dans le milieu urbain. De ce fait, le BTP se présente comme un secteur clé de l’économie marocaine.
La législation marocaine analysée dans le cadre du droit comparé
L’auteur confirme que la législation marocaine est en déphasage complet avec le développement du secteur du BTP et ne suit nullement son développement caractérisé par son exportation en dehors du Maroc ; les entreprises de construction et Ingénierie marocaines étant très appréciés en Afrique de l’Ouest.
La thèse a analysé les systèmes législatifs de 7 pays : Sénégal, Algérie, Tunisie, France, Espagne, Allemagne et Grande Bretagne; ce qui a permis à l’auteur de confirmer l’existence de 3 types de systèmes législatifs distincts :
– 1er Groupe rassemblant des pays où la responsabilité des constructeurs est définie par la législation assujettie d’une obligation d’assurance telle la France, l’Espagne, l’Italie, Finlande, la Suède, le Maroc (après l’instauration récente de l’obligation d’assurance par la loi 59.13), le Sénégal, la Tunisie et l’Algérie ;
– 2ème Groupe rassemblant des pays où les responsabilités des constructeurs sont définies par le contrat et l’absence d’obligation d’assurance, mais où l’usage de cette dernière est très fréquent. C’est le cas notamment de la Grande Bretagne et les Pays Bas. Ces deux pays sont caractérisés par l’existence d’organismes qui rassemblent aussi bien les constructeurs que les consommateurs : NHBC pour la Grande Bretagne depuis 1936 et la Fondation des Pays Bas depuis 1990 ;
– 3ème Groupe rassemblant des pays où le système de responsabilité est contractuel et absence d’obligation d’assurance comme pour le groupe ci-dessus mais dont la souscription des polices d’assurance construction n’est pas coutumière. Cette situation est très présente en Allemagne.
Par ailleurs, la thèse a fait ressortir les caractéristiques des 3 pays africains analysés :
• Le Sénégal vient d’adopter un code de la construction en 2009 ; relatif uniquement aux travaux de bâtiment ; assujetti d’une obligation d’assurance en cours de travaux ainsi qu’après la réception des travaux. Le système de l’assurance RC Décennale mis en place est un dispositif qui s’est beaucoup inspiré du système français sur certains aspects ;
• La Tunisie a opté pour un système ; en premier lieu à travers la loi du 10/10/1986 ; proche du régime Français SPINETTA (Loi du 10/10/1986) qui a paralysé le secteur d’assurance tunisien pendant plus de 7 ans. Mais, rapidement la Tunisie a rectifié l’erreur et a changé ce système par un autre répondant à la situation réelle de la Tunisie (Loi du 31/01/1994) ;
• L’Algérie a opté un système d’assurance qui favorise le préfinancement des sinistres par les assureurs.
Les trois pays africains analysés présentent des systèmes législatifs largement plus développés que celui du Maroc alors que le secteur du BTP dans ces mêmes pays n’est pas aussi développé que celui du Maroc.
Conclusion de la thèse
L’auteur conclut qu’il apparait clairement que le Maroc devrait se doter d’une législation propre au secteur de la construction et l’harmoniser avec le code des assurances afin de protéger, aussi bien les acteurs économiques représentés par les promoteurs, les intervenants dans l’acte de construire que le consommateur marocain.
D’ailleurs, si les compagnies d’assurance connaissent de grandes difficultés à réassurer les risques marocains en responsabilité civile, c’est en partie à cause de l’inexistence et de l’absence de lois propres au secteur de la construction. Cette situation défavorise, en grande partie, les professionnels du secteur de la construction et génère de ce fait des litiges importants entre maîtres d’ouvrages et professionnels du secteur de BTP.
Afin d’illustrer cette situation, l’auteur relate les facteurs qu’il considère les plus importants pouvant aider et concourir à une meilleure organisation du secteur de BTP au Maroc :
– La participation du secteur du BTP à la confection des lois le concernant;
– La classification des entreprises devrait être unifiée et mettre des critères techniques, et d’expérience pouvant amener ce procédé à plus de transparence et d’équité pour les entreprises;
– Les ingénieurs de construction marocains devraient bénéficier ; à l’instar de leurs homologues ingénieurs géomètres topographes et architectes ; d’un ordre leur permettant de mieux s’organiser et exprimer leurs préoccupations et leurs problèmes. L’ordre des ingénieurs de construction ne peut qu’aider cette tranche de professionnels à mieux encadrer et former ses éléments et les mettre update aux techniques de prévention des risques tant techniques que juridiques liés à leurs métiers. L’ordre permet aussi de mettre en place une déontologie de pratique du métier permettant ainsi de moraliser le secteur;
– Mise en place d’un système unique de réception des travaux et une procédure du prononcé de la réception des travaux;
– L’instauration d’un système de contrôle des chantiers au niveau de l’hygiène et de la sécurité parait urgent. L’auteur rappelle que les accidents corporels, leur prise en charge ainsi que les problèmes sociaux qu’ils engendrent sont parfois énormes et se traduisent par des tensions sociales incontrôlables;
– La nécessité de promulgation rapide d’un code de la construction et lois d’obligation du contrôle technique et la réalisation d’étude de sols pour certains travaux et définition des principaux métiers de constructeurs et leurs responsabilités sur chantier;
– La mise en place d’une réglementation relative à la sous-traitance devient nécessaire;
– La transparence des marchés publics est une demande constante des professionnels du BTP;
– La refonte des règlements de calcul de béton armé et la mise en place d’un règlement de calcul uniforme et imposable à tous les professionnels. En fait, le Maroc ne dispose pas d’un règlement de calcul propre à lui;
– Face à la pluralité des normes utilisées au Maroc, la marocanisation de ces dernières s’impose comme une priorité offrant ainsi leur uniformisation ainsi que leur unicité. Cette uniformisation permettra de mettre en place un système référenciel unifié, unique et utilisable par tous les professionnels;
– Le système d’assurance obligatoire mis en place actuellement ne pourrait être efficace et répondre aux aspirations des professionnels que s’il satisfasse à des conditions tirées des expériences passées d’autres pays tels la Tunisie et la France;
– La nécessité de mise sur pied d’un organisme indépendant pouvant départager les assurés et assureurs en cas de refus d’assurance par les compagnies d’assurance ;
– La liaison d’obligation d’assurance Responsabilité Civile Décennale au contrôle technique des constructions tant au niveau de la phase de la conception qu’au niveau de la phase d’exécution des travaux devrait être systématique et apparaitre clairement dans la loi d’obligation d’assurance construction;
– Le système d’assurance devrait être basé sur le concept de la sécurité ; implicitement la qualité ; donc sur le système de contrôle technique. Cette démarche permettrait la garantie de protection des constructions contre les risques inhérents à la construction;
– Le système de préfinancement des sinistres n’est nullement présent dans la loi 59.13 pour les polices couvrant la Responsabilité Civile Décennale des constructeurs. L’auteur rappelle à cet effet qu’en construction, plus la réparation des constructions endommagées tarde à être réalisée, plus les pathologies s’amplifient et s’aggravent. Cette situation de retard constaté en matière d’indemnisation dans le cadre des polices de responsabilité civile est due au temps pris par les assureurs à rechercher le responsable présumé. Mais ce problème peut être solutionné par l’instauration d’un préfinancement des sinistres sous forme d’acompte avancé à l’assuré lui permettant de commencer les réparations parallèlement aux investigations entreprises par l’assureur pour rechercher et déterminer les responsabilités. Il rappelle que cette procédure est pratiquée en Tunisie par exemple;
– La création et la mise en place d’un organisme chargé de l’observation statistique des sinistres qu’ils soient assurés ou non assurés en procédant à l’analyse de leurs causes (recueillies auprès des experts) et des conséquences (recueillies auprès des assurés) ainsi que la réalisation d’enquêtes sur l’évaluation des systèmes de prévention et de protection des risques ne peut qu’aider à l’instauration d’une meilleure gestion des risques de construction;
– Les compagnies d’assurance devraient se préparer à une venue massive de demande d’assurance construction et devraient en même temps revoir et réviser leurs traités de réassurance à la lumière de la nouvelle loi d’obligation d’assurance construction N° 59-13.
En résumé, l’auteur pense qu’il est urgent de repenser les textes législatifs qui gèrent le secteur de la construction et de les rassembler aussi dans un code facilitant ainsi leur accès et de ce fait leur application.
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n°155 – Novembre 2017