Architecte, ingénieur, négociant… conjuguez ces métiers au féminin et vous rencontrez des femmes déterminées, passionnées, engagées…
Les métiers du bâtiment ont longtemps été réservés aux hommes. Pourtant, depuis quelques années, les femmes sont de plus en plus visibles dans ce secteur professionnel. Une mixité croissante qui fait écho à l’évolution de la condition de la femme au Maroc et dont on peut bien sûr se réjouir. Au fil de sa modernisation, la société s’est émancipée des représentations strictes et stéréotypées réservant ces métiers aux hommes. Même si l’égalité des chances entre les hommes et les femmes reste encore inachevée, l’univers du BTP semble témoigner très concrètement de cette l’évolution des mentalités sur le sujet. Le secteur du bâtiment a su dépasser les codes traditionnels et, en quête de professionnels qualifiés, s’ouvrir à ce formidable vivier que représentent les femmes. Le BTP ne fait d’ailleurs pas figure de mauvais élève : bien d’autres secteurs professionnels ne se sont ouverts aux femmes que très récemment.
La féminisation du BTP, encore balbutiante, pourrait être encouragée par de nombreuses actions de sensibilisation.
Les progrès techniques ont rendu certaines professions moins pénibles physiquement donc plus accessibles aux femmes mais le secteur du BTP reste largement méconnu. Il offre pourtant de nombreuses promesses d’emplois pour la jeunesse d’aujourd’hui. La féminisation du BTP, encore balbutiante, pourrait être encouragée par de nombreuses actions de sensibilisation. Le but serait de mieux faire connaître ce secteur professionnel et la grande diversité des métiers qu’il recouvre, faire naître des passions et mieux orienter les élèves présentant des prédispositions pour ce type de métiers, encourager l’accès des femmes aux études supérieures. Et puis, montrer que le BTP propose une large palette de métiers épanouissants garantissant une autonomie financière.
Nous vous proposons une immersion dans cet univers du bâtiment au féminin à travers le regard de quatre femmes occupant diverses responsabilités dans le monde du BTP au Maroc.
L’occasion de combattre certaines idées reçues et peut-être de susciter des vocations.
Le bâtiment, une vocation…
Cette immersion dans le monde du bâtiment semble s’être faite assez naturellement, le goût et l’attirance pour les métiers du bâtiment étant presque héréditaires. Il s’agit en effet souvent d’une vocation, d’une « révélation » qui remonte à l’enfance :
« Depuis que j’étais enfant je voulais et j’espérais devenir ingénieur » nous confie Khadija Katrar, ingénieur BTP à Casablanca.
De même, Amina Senoussaoui, architecte à Casablanca, a « toujours été fascinée par les réalisations architecturales qui ont jalonné l’histoire de l’humanité et profondément séduite par les oeuvres qu’ [elle a] eu à admirer. » Son sens de l’observation aiguisé, sa sensibilité, son goût de l’esthétisme et de la création la conduiront spontanément à l’architecture.
Cette fascination et cette détermination mèneront dès lors ces femmes sur le chemin de longues et brillantes études : baccalauréat scientifique, classes préparatoires aux grandes écoles, grande école de travaux publics, d’ingénieurs, d’architecture… Elles tentent à leur tour de transmettre à leurs enfants cette passion qui les anime depuis si longtemps. C’est ainsi que Hanae Bekkari, architecte à Tanger, tente d’inculquer à ses filles « une manière de comprendre le geste architectural » et de les habituer à « vivre les espaces » : « J’ai conçu la maison où nous habitons, une maison conviviale où la lumière est forte, le soleil présent, la poésie aussi. Une forme de sérénité en émane et il fait bon y vivre, c’est un cadre qui constitue pour moi un enseignement à mes enfants, en leur montrant ce que c’est que vivre dans un espace bien pensé ».
Des métiers exigeants et passionnants
Travailler dans le bâtiment s’avère pour chacune une grande source d’épanouissement. Les satisfactions sont en effet multiples : le plaisir de travailler en équipe dans une ambiance conviviale mais aussi de collaborer avec tout un éventail de professionnels de secteurs différents. « J’ai le plaisir avec mon équipe de collaborer avec des architectes, des décorateurs, bureaux d’étude et maîtres d’ouvrage. Nous élaborons ensemble des cahiers des charges répondant aux besoins techniques, esthétiques et budgétaires des projets », témoigne Mounia Berrada, négociante à Casablanca.
Dans le domaine de l’architecture, les phases d’étude et de conception du projet, d’analyse de la faisabilité du projet, les recherches théoriques et les esquisses avant d’aboutir à un concept s’avèrent particulièrement stimulantes. Un travail en amont indispensable pour, comme l’explique Hanae Bekkari, « arriver à concrétiser un projet rêvé, imaginé, conçu en plan, et pouvoir le construire à grande échelle ».
Mais les exigences de la réalité ne sont pas incompatibles avec la création, l’innovation et l’esthétisme. Pour Amina Senoussaoui, « l’architecture est un art puisque tout en obéissant à des contraintes techniques, elle laisse une part à la création, à l’imagination à l’intuition et à la recherche de l’esthétique et de l’harmonie ».
Réunir tradition et modernité, rêve et réalité pour construire, transformer, rénover, créer : un challenge qui ne manque pas de rendre tous ces métiers passionnants au quotidien. Les projets, les gestes, les réalisations, loin d’être répétitifs, s’inscrivent au contraire sous le signe de la diversité, de la liberté. « Chaque réalisation architecturale apporte son lot d’émotions plus ou moins heureuses, pour chaque projet il faut faire preuve d’imagination nouvelle » précise Amina Senoussaoui.
Loin d’être figé, l’univers du bâtiment est en mouvement perpétuel. Il faut d’ailleurs savoir rester à l’affût des nouveautés. Mounia Berrada « visite tous les salons d’équipement de la salle de bain et de chauffage afin de rester à l’avant garde des tendances, des innovations et des nouveautés ». Ces innovations constantes, la variété des situations, des demandes et des besoins prémunissent contre l’ennui. « Comme chaque projet est différent de l’autre, c’est une source d’enrichissement et de renouvellement des connaissances perpétuelle » ajoute Khadija Katrar. Ces métiers se révèlent également passionnants sur le plan humain. Le parcours professionnel est en effet ponctué de rencontres aussi diverses qu’enrichissantes. « On a la possibilité de rencontrer et de croiser durant son parcours professionnel un éventail très large de personnes de différentes catégories sociales et de différents niveaux intellectuels (les clients mais aussi les partenaires architectes, les bureaux de contrôles, les laboratoires, les entreprises, les ouvriers sur les chantiers…) », note Khadija Katrar.
Un challenge quotidien Dans le monde du BTP, il y a certes des codes à connaître et des logiques à maîtriser mais c’est le cas pour de nombreux métiers. Les débuts peuvent parfois se révéler difficiles : constituer une équipe, obtenir le soutien des banques, faire sa clientèle, conquérir la confiance des fournisseurs, asseoir une organisation… Et puis peut-être aussi dépasser les simples considérations de rentabilité. Mais pour Mounia Berrada, ces difficultés liées au démarrage sont communes à de nombreuses professions.
Une fois l’activité mise en place, le challenge quotidien est de consolider son activité, fidéliser ses clients mais aussi constamment se développer, évoluer pour rester dans la course. Pour Hanae Bekkari, la plus grande difficulté réside dans « la médiocrité, le laisser-aller, la mauvaise formation des ouvriers ou encore dans la mauvaise foi ».
Mais quand on est passionnée, on parvient à surmonter toutes ces difficultés. D’ailleurs, pour Khadija Katrar, on devrait exercer un métier « non pas parce qu’il est facile, mais parce qu’on l’aime et qu’on s’épanouit à l’exercer ». Dès lors, « la difficulté devient admissible ». Amina Senoussaoui préfère parler quant à elle de « défis » qui ne manquent pas de rendre son métier captivant au quotidien.
Une détermination à toute épreuve
Résolument les pieds sur terre, toutes ces femmes misent sur le professionnalisme et la ténacité au quotidien pour réussir. Mounia Berrada se nourrit d’ailleurs de la devise de Nolan Bushnell, un des pionniers de l’industrie du jeu vidéo aux États-Unis
d’Amérique : « Le véritable entrepreneur est un faiseur, pas un rêveur ».
Pour faire sa place et réussir dans le secteur du bâtiment quand on est une femme, la recette semble être la même que pour les hommes : de solides compétences, de la rigueur, l’esprit d’équipe, une grande disponibilité et un sens de l’observation pointu. Comme le note Amina Senoussaoui, il faut en fait « une bonne connaissance des arts et des techniques de constructions susceptibles d’interpeler et de dialoguer avec la société et ses différentes composantes et en particulier les volets sociaux, artistiques et culturels ». Et puis, bien sûr, l’indispensable persévérance dont les femmes, particulièrement, ne doivent jamais se départir pour « réussir en toutes circonstances ». Ainsi, pour Mounia Berrada, mieux vaut parfois savoir se doter de « l’état d’esprit d’un coureur de demi-fond, comme l’un de nos grands champions nationaux, Hicham EL GUERROUJ ». Hanae Bekkari, quant à elle, considère qu’il faut « avoir le courage d’affronter des personnes plus fortes, de ne pas se laisser abattre par les coups ou les difficultés auxquelles on doit faire face quotidiennement, d’avoir une estime de soi à toute épreuve, tout en préservant notre sensibilité, notre empathie et ces qualités qui font de nous des femmes à part entière ». Sans oublier l’audace pour faire son chemin dans cet univers encore très masculin.
Et ce qui les anime chaque jour ? « Mon café le matin ! » plaisante Amina Senoussaoui. Plus sérieusement, elles sont toutes animées au quotidien par le souci de satisfaire les clients et d’avancer conjointement avec leur équipe vers l’objectif fixé. Elles s’enthousiasment pour les nouveaux projets et se réjouissent, après une belle journée de travail, de retrouver leur famille le soir.
Des femmes dans un univers d’hommes « Je n’ai pas d’ordre à recevoir d’une femme », une réflexion empreinte d’un sexisme récalcitrant et déstabilisant auquel Amina Senoussaoui a déjà été confrontée mais qui semble désormais de plus en plus rare. Bien sûr, il faut parfois encore se battre contre les idées reçues, lutter contre les stéréotypes sexuels qui assignent les femmes à des places et à des rôles prédéterminés et considèrent qu’elles ne sont pas à leur place dans le BTP. Le rapport homme/femme reste complexe et l’égalité n’est pas encore acquise. Mais pour Amina Senoussaoui, le BTP n’est désormais plus un univers masculin. En témoigne le nombre grandissant de femmes actives dans ce secteur et le nombre de métiers qui se conjuguent désormais au féminin. Même si historiquement les métiers du bâtiment étaient plutôt réservés aux hommes, hommes et femmes ont les mêmes compétences : « l’art et la science de l’architecture peuvent être assimilés par les deux sexes avec la même qualité » ajoute Amina Senoussaoui.
Certes, « on trouve toujours des esprits chagrins qui pensent que le bâtiment est une chasse gardée des hommes » confirme Mounia Berrada mais les mentalités évoluent et la féminisation du BTP ne rencontre pas l’hostilité. D’ailleurs, comme l’analyse Mounia Berrada, « l’homme se grandit et s’honore en acceptant la femme comme alter ego. »
En fait, le fait d’être une femme n’est pas vraiment perçu comme un handicap. « C’est vrai qu’il y a parfois des difficultés et des obstacles dans l’exercice du métier, mais ils sont communs aussi bien aux hommes qu’aux femmes » note Khadija Katrar.
Loin de considérer leur condition de femme comme un handicap, la plupart, faisant preuve d’un grand professionnalisme, ont relevé sans difficultés le pari de l’intégration dans cet univers si masculin. Depuis plus de vingt ans qu’elle exerce son métier d’ingénieur, Khadija Katrar se réjouit du soutien et du respect qu’ont pu lui témoigner tous les hommes qu’elle a pu côtoyer au cours de son parcours professionnel.
Certaines, comme Hanae Bekkari, considèrent même la féminité comme un avantage : « ils sont plus attentionnés, plus gentils, nous n’avons pas besoin de crier pour communiquer et il y a une certaine forme de respect, on arrive très bien à se faire comprendre » Cependant, cette douceur dans les relations professionnelles n’est pas incompatible avec une attitude ferme, indispensable pour éviter une détérioration des relations. Sur les chantiers, les hommes qui prédominent et le travail peut se révéler souvent physique. Il faut donc parfois savoir mettre sa féminité au vestiaire : « Comme j’ai des visites de chantier tous les jours, je m’habille de manière sportive car il faut pouvoir se déplacer à l’aise, grimper, monter sur les toits, se « salir » de boue, de ciments, parler avec les ouvriers » témoigne Hanae Bekkari.
Faire cohabiter harmonieusement vie professionnelle et vie familiale…
Vie professionnelle et vie familiale, l’équation est loin d’être évidente pour les femmes, notamment dans ces métiers qui prennent du temps et où, comme d’autres métiers d’ailleurs, la frontière entre travail et vie privée est très perméable. Comme le souligne très justement Hanae Bekkari, le travail ne s’arrête pas automatiquement lorsqu’on quitte son lieu de travail ou lorsqu’on franchit les portes de son domicile. Le téléphone mais aussi les problèmes professionnels liés aux chantiers peuvent parfois la tenir éveillée la nuit. Et puis l’inspiration, qui surgit sans prévenir et qu’il ne faut pas laisser filer : « Il m’arrive même de me réveiller à 3h du matin sous le coup d’une inspiration soudaine et de commencer à dessiner » nous confie-t-elle.
Disponibilité, déplacements, horaires flexibles, aléas des chantiers et des commandes… concilier harmonieusement vie privée et vie professionnelle devient un véritable enjeu quotidien.
Sans compter que la vie d’une femme est aussi rythmée par les grossesses, les périodes d’allaitement, l’éducation des enfants… L’organisation semble être le secret de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Dans tous les cas, c’est un équilibre qui s’acquiert et s’ajuste au fil du temps et des aléas de la vie. Au niveau professionnel, il paraît indispensable de bien s’entourer et d’apprendre à déléguer son travail à des personnes de confiance pour faire face aux impératifs privés. D’un point de vue personnel, la famille et les grands-parents se révèlent des alliés de taille. Surtout quand les enfants sont en bas-âge. L’attitude du mari est aussi déterminante. Un mari qui participe à la logistique quotidienne du foyer et/ou qui fait partie du même corps professionnel est un soutien précieux.
Ce qui est certain c’est que chacune met tout en oeuvre pour être aussi présente et disponible que possible : aller chercher ses enfants à l’école, être à l’écoute des siens ou encore partir en vacances en famille. Sans doute parce que la famille reste une formidable source d’énergie et une force pour avancer chaque jour.
Le bâtiment au féminin
Le nombre croissant de femmes dans l’univers du bâtiment est un véritable atout pour ce secteur car la mixité, loin d’engendrer des rapports compétitifs stériles, s’inscrit au contraire sous le signe de la complémentarité.
Passionnées et fortement motivées, elles ont un rôle majeur à jouer dans le monde du bâtiment. Concernant ce que la femme peut précisément apporter au monde du bâtiment, la réponse est claire pour Khadija Katrar : « la même chose ! » Mais cette féminisation est évidemment une force de plus pour le Maroc. Peut-être que la femme, par sa sensibilité, accorde une plus grande place à l’esthétisme. « En tant que femme, j’aime le travail bien soigné. Je ne supporte pas les malfaçons » nous explique Mounia Berrada. Pour Hanae Bekkari, une des forces des femmes est leur sens des relations humaines, leurs capacités à écouter, dialoguer, à parvenir à un consensus et à prendre le temps d’expliquer.
Pourtant, comme le souligne avec pertinence Amina Senoussaoui, loin de s’opposer, « le mélange des genres se révèle au contraire des plus stimulants pour la production architecturale ».
Et d’ajouter qu’en fait, ce n’est pas le genre qui est déterminant mais l’excellence. Ainsi, au niveau de la pratique professionnelle, il ne s’agit pas de valoriser les hommes ou les femmes mais bien les meilleurs. Dans le domaine de l’architecture, elle estime en effet que ce sont « les meilleurs [qui] seront les plus sensibles à la créativité ».
Ainsi, outre leurs compétences professionnelles et leurs qualités humaines, les femmes sont susceptibles d’apporter une énergie nouvelle et un autre regard, parfois une idée différente dans la construction ou l’agencement des habitations.
Et puis, toutes ont conscience de leur rôle à jouer, de leur utilité directe dans le développement de leur ville, de leur région, et du Maroc. Travailler aujourd’hui dans le monde du bâtiment, c’est aussi relever le défi architectural d’un pays en pleine effervescence urbaine. Hanae Bekkari nous confie être constamment animée par le souci de trouver des solutions architecturales aux mutations contemporaines et d’apporter ainsi sa « petite pierre à l’édifice d’une architecture marocaine ». Par leurs propositions audacieuses, leurs idées innovantes, leurs solutions architecturales, elles contribuent donc chaque jour à construire un territoire plus vivable et plus durable. De quoi être fières.
Emilie FERRÉ
Paru dans CDM Chantiers du Maroc – n°91 – Janvier 2012