Réglementation, prise de conscience générale, développement des filières : le contexte actuel joue fortement en faveur de l’économie circulaire. Depuis plusieurs années déjà, le CSTB accompagne le développement de l’économie circulaire grâce à la recherche et au travers de nombreux projets concrets. Rencontre avec Alexandra Lebert, Directrice d’action stratégique de recherche « économie circulaire et ressources pour le bâtiment » et Sylvain Laurenceau, Responsable de l’équipe “économie circulaire” au sein de la Direction Energie Environnement du CSTB.
Un des nouveaux domaines d’action stratégiques de la Recherche au CSTB est « l’économie circulaire et les ressources pour le bâtiment ». En quoi est-ce un sujet central pour le bâtiment ?
Alexandra Lebert : L’économie circulaire est un thème incontournable du bâtiment. Elle répond à deux enjeux importants du secteur :
- Assurer la pérennité de l’usage des matières et ressources nécessaires au fonctionnement de nos sociétés. Le bâtiment est en effet un des plus gros consommateurs de matières premières dans le monde. C’est également un grand consommateur d’eau. Or, avec le changement climatique, les situations de stress hydriques vont augmenter. Diminuer nos consommations d’eaux est donc un objectif, tout comme l’arrêt de l’artificialisation des sols. Les bâtiments (et leur production) consomment les terres avec les impacts négatifs que nous connaissons sur l’eau, l’agriculture, la biodiversité, etc.
- Réduire notre production de déchets. Le domaine de la construction en France est un gros producteur de déchets. A l’échelle de la France, il produit l’équivalent, en masse, des déchets ménagers.
Sylvain Laurenceau : Le bâtiment est un grand consommateur sur tous les plans : eau, matières premières, énergie, etc. Reconnaitre que les ressources ne sont pas disponibles en quantités infinies et qu’il est capital de préserver notre écosystème nous oblige à revoir nos modes de conception. Ne serait-ce qu’au cours des 100 dernières années, les extractions de ressources ont été multipliées par 10 dans le monde.
Au-delà de ces enjeux, le bâtiment pose également la question de l’activation des ressources matérielles et humaines sur un territoire donné. L’économie circulaire peut générer de l’emploi et valoriser les ressources des territoires.
Qu’est-ce le CSTB peut apporter sur le sujet ?
A. L : L’objectif du CSTB en approfondissant sa réflexion sur l’économie circulaire est de travailler sur la frugalité, pour pouvoir construire de nouveaux bâtiments avec moins et valoriser autant que possible le recours aux matières secondaires et au réemploi. Ainsi, nos travaux suivent trois grands axes : la compréhension globale des flux et des modèles économiques, la valorisation du bâti existant en tant que banque de matériaux et l’aide à l’écoconception.
Le CSTB, sur ce sujet, a de nombreuses cartes à jouer au service des acteurs. D’une part, nous sommes ultra polyvalents, dans une approche pluridisciplinaire et systémique : nous faisons de la recherche, de l’évaluation, de l’analyse de flux et de modèles économiques, du soutien aux pouvoirs publics, etc. Nous sommes également en mesure de travailler sur les verrous techniques, pour aider à les débloquer. D’autre part, nous avons un rôle de fédérateur, de lien entre les acteurs : nous nous situons à un point de rencontre entre de nombreux écosystèmes de l’économie circulaire et du bâtiment. Enfin, nous avons une position historique de vigilance par rapport aux performances de produits et systèmes afin que les exigences pour les matériaux, tant au niveau sanitaire, technique que bientôt, au niveau environnemental. Cela contribue à donner confiance envers ces produits.
S.L : Le CSTB a également une place importante dans la création et la diffusion de connaissances autour de l’économie circulaire. Nous étudions et analysons les modèles actuels afin de mieux anticiper leurs impacts sur les ressources et l’environnement, nous développons des bases de données sur les produits existants pour mieux les connaitre, des outils d’analyse de la circularité des ouvrages neufs, etc. Actuellement, nous menons un important travail de modélisation du patrimoine et des ressources disponibles au travers de notre outil BTPFlux. Nos études et analyses nous permettent de mieux caractériser les gisements et leur potentiel, afin d’accompagner les acteurs qui se lancent dans une démarche d’économie circulaire.
Où en est la filière de l’économie circulaire en France ?
S.L : Nous sommes actuellement à un point de bascule pour la filière : tous les éléments sont réunis pour passer à une forme de massification de l’économie circulaire. D’un côté, nous avons des solutions qui existent déjà depuis des années, mises en pratique par des personnes qui ne savent pas forcément qu’elles mettent en application l’économie circulaire (le recyclage des métaux par exemple, se pratiquait avant l’émergence de cette notion). De l’autre, de nombreuses nouvelles solutions émergent, se développent et se diffusent. De plus, le contexte réglementaire est particulièrement encourageant. De nouvelles exigences apparaissent, à la fois sur l’écoconception, la prise en compte des impacts associés aux produits, équipements et systèmes dans la RE2020 qui valorise les matériaux issus du réemploi ou du recyclage moins émetteurs de carbone-; mais également sur la valorisation de la matière issue des bâtiments existants avec la filière Responsabilité Elargie du Producteur (REP) qui se met en place, et le diagnostic PEMD qui va favoriser la mise en visibilité des gisements. Ce contexte permet de soutenir l’impulsion qui existe déjà.
Cependant, il reste certains points de blocage à traiter :
- Il faut encore accompagner l’évolution des filières pour passer d’une chaîne de valeur linéaire à une chaîne circulaire.
- Les pratiques de l’économie circulaire ont un potentiel de rentabilité sur le long terme (voire le très long terme), comme dans un contexte ou une situation de réversibilité des bâtiments. La répartition de la valeur est ainsi à repenser à la fois dans l’espace, en intégrant les nouveaux acteurs de la valorisation et dans le temps, en valorisant plus fortement les gains futurs.
- Les acteurs manquent de connaissances et d’informations sur l’existant et les moyens de le valoriser.
- Il faut apporter aux acteurs une information objective sur les efforts réalisés en faveur de l’économie circulaire et leur permettre de faire des choix. Par exemple, en comparant les performances des produits de construction dans un cadre qui en assure la comparabilité.
Quels sont les leviers pour aider les acteurs à intégrer les principes d’économie circulaire dans leurs projets ?
A. L : L’enjeu central est de faire évoluer les comportements des acteurs du bâtiment. Il faut trouver le juste milieu entre les leviers coercitifs, dans un contexte d’évolution de la réglementation notamment, et les leviers incitatifs. Il est essentiel de former et d’informer les acteurs sur l’économie circulaire, ses aspects techniques, le prix des matériaux. Il faut que les acteurs disposent d’outils, que l’information soit accessible et compréhensible par tous. Pour s’imposer, l’économie circulaire ne doit plus être un domaine réservé à quelques experts. Il est nécessaire de rendre l’économie circulaire accessible et attractive. Cela s’accompagne par la mise en place de labels, de concours, etc., qui valorisent le travail et les avancées des porteurs de projet. Enfin, les communautés d’acteurs partageant des retours d’expériences sont indispensables dans cet apprentissage collectif.
S.L : En complément des propos d’Alexandra, je vois quatre leviers à activer afin d’intégrer l’économie circulaire dans les projets :
- Donner confiance aux acteurs et aux filières en leur fournissant les bons outils
- Clarifier et valoriser les exigences des maitres d’ouvrages qui veulent se lancer dans l’économie circulaire
- Développer l’offre de solutions via l’investissement
- Montrer que le modèle économique et technique fonctionne. Pour cela, nous avons besoin de démonstrateurs, de REX.
Avez-vous des exemples de projets phares du CSTB sur l’économie circulaire ?
S.L : Le CSTB porte des projets très variés liés à l’économie circulaire. Ceux-ci concernent à la fois l’écoconception des nouveaux produits et ouvrage et la limitation des déchets via le réemploi et le recyclage. En voici quelques-uns qui reflètent ce que nous pouvons faire.
Par exemple, nous avons travaillé avec la Région et l’ADEME Ile-de-France sur le projet BTPFlux. Il s’agissait de développer un modèle pour identifier les différents stocks et flux matières, à l’échelle d’un parc de bâtiment, afin d’étudier la possibilité de déployer la méthode sur tout le territoire. Le projet prend en compte les possibilités de valorisation de chaque déchet et matériau. Cette méthode de modélisation permet ainsi de mieux connaitre les ressources d’un territoire et de mieux structurer les filières (disponibilité, transport des matériaux, etc.).
Le CSTB a également coordonné la rédaction de cinq guides sur l’économie circulaire dans le bâtiment, pour la Fondation Bâtiment Energie. Ces documents sont issus de deux ans de recherche et ont mobilisé plus d’une quarantaine d’acteurs. Ils développent cinq grands enjeux de l’économie circulaire : les conditions du réemploi des produits et matériaux, les impacts environnementaux du bâti, la réversibilité, la démontabilité et la maîtrise des données.
Enfin, le CSTB travaille actuellement avec les EPF PACA et Occitanie à la mise en place d’une approche de la déconstruction sélective centrée autour du potentiel des outils numériques. Dans cette expérimentation, nous avons couplé une modélisation de deux bâtiments pilotes avec une base de données caractérisant le potentiel de valorisation des produits existants, afin d’analyser très en amont le potentiel du bâtiment, mobiliser les acteurs et définir des objectifs de résultat à la fois réaliste et ambitieux. Un outil cartographique des filières et des modes de transports a ensuite permis de quantifier les impacts associés au chantier.
A. L : Nous avons également mené un projet phare sur l’utilisation de matériaux alternatifs pour l’épuration, à la croisée entre l’économie circulaire et le cycle de l’eau. Il s’agit d’un programme national sur l’utilisation des sables concassés en remplacement des sables de rivière, largement utilisés par les techniques de l’assainissement non collectif (rappelons que l’assainissement autonome concerne plus de 100 000 maisons par an). Le programme inclut de nombreux acteurs : la plateforme de recherche du CSTB, AQUASIM, des collectivités, etc. Au total, une vingtaine d’installations ont été mises en place sur tout le territoire. Ce programme sera entériné par le Plan d’Action National ANC et débouchera sur une prescription réglementaire et la rédaction d’un guide destiné aux professionnels et aux assureurs. Il se terminera fin 2022 par une partie « terrain ».
Et comment accompagnez-vous l’éco-conception ?
A. L : Nous travaillons sur plusieurs labels intégrant l’économie circulaire. Par exemple, nous avons développé à la demande des acteurs économiques un label bas carbone pour le secteur du bâtiment, qui valorise l’emploi de matériaux ou de produits moins émetteurs de GES, dont ceux issus de l’économie circulaire. Nous avons également alimenté les réflexions autour des labels qui pourraient accompagner la sortie de la RE2020, sur des sujets importants pour l’avenir et l’économie circulaire fait partie de ces sujets.
Enfin, le CSTB proposera bientôt des indices de qualité à l’échelle des produits et matériaux de construction, pour accompagner les acteurs qui sont aujourd’hui les moins outillés et qui sont pourtant décisionnaires pour les modes constructifs ou prescripteurs de produits de construction. Cette initiative aura pour objectif de fournir à ces acteurs des informations objectives, fiables, qui leur permettent de sélectionner les meilleurs produits, matériaux ou équipements. La facilité à être démonter, le potentiel de réemploi ou encore le potentiel de recyclage sont parmi les caractéristiques étudiées. Nous en reparlerons d’ici quelques semaines !
S.L : Au-delà du développement de signes permettant d’objectiver les performances et faciliter la prise de décisions, nous nous mobilisons via un accompagnement à l’innovation – pour permettre par exemple une plus grande intégration de matière recyclée dans les nouveaux produits -, par le développement de nouvelles méthodes , pour faciliter par exemple la conception de bâtiments réversibles, ou par un développement d’outils d’aide à l’analyse et à la décision – nous lançons par exemple le développement d’un outil d’analyse de la circularité des ouvrages avec l’Alliance HQE-GBC, EVEA et le soutien de l’Ademe.
L’Etat a décidé de confier au CSTB la réalisation de la future plateforme associée au nouveau diagnostic « Produits, Equipements, Matériaux, Déchets (PEMD). Pouvez-vous nous en dire plus ?
A. L : Depuis 2011, les maîtres d’ouvrages ont l’obligation de réaliser un diagnostic déchets avant toute opération de démolition et de le renseigner sur une plateforme officielle. Cependant, le dispositif nécessitait d’être amélioré… La loi Agec[1] est venue refondre cette obligation, en lançant le nouveau diagnostic PEMD, associé à une nouvelle plateforme de saisie des données très opérationnelle. L’Ademe et le ministère de la Transition Ecologique ont confié au CSTB la mission de réaliser la refonte de cette plateforme.
S.L : Cette nouvelle plateforme doit répondre à trois objectifs : satisfaire aux exigences réglementaires, apporter de la valeur ajoutée aux différents acteurs et enfin, rendre visibles les gisements en amont des opérations de déconstruction. Il s’agit d’un véritable changement de paradigme, qui va contribuer à créer un langage commun autour de la gestion des déchets, à structurer les filières de valorisation en donnant le temps d’organiser la gestion des gisements, et en apportant des informations aux maitres d’ouvrages, filières, collectivités et pouvoirs publics, afin que chacun trouve un intérêt qui va bien au-delà du respect de la règlementation.
La plateforme PEMD sera finalisée fin 2022, avec de premières fonctionnalités mises en service dès mars 2022. Nous impliquons les parties prenantes dans ce projet, ainsi, nos travaux s’appuient sur des groupes d’utilisateurs volontaires, qui nous aident à concevoir la plateforme en prenant en compte leurs attentes.
Article publié sur Construction21 France
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