Mohammed Iqbal EL KETTANI, 39 ans, a 16 ans d’expérience dont 14 en gestion associative et 10 ans en tant que directeur général de la Fédération Nationale des promoteurs Immobiliers. Il est lauréat du cycle normal de l’Ecole des Sciences de l’Information (ESI – Rabat) et titulaire d’un Master et d’un DESS en Gestion de Projet délivré par l’Université du Québec. A ce titre, il nous livre son analyse sur la loi 66/12.
La loi 66-12 relative au contrôle des irrégularités dans le domaine de l’urbanisme et de la construction a pour but de lutter contre différents types d’abus en matière de construction engageant la responsabilité de toutes les parties prenantes.
Elle entend réglementer les procédures de construction, de modification ou de démolition dans un chantier et, notamment, dans le domaine de l’auto-construction et de l’habitat non réglementaire.
Les représentants du secteur ont toujours été favorables à l’adoption d’une loi qui mettrait fin à la prolifération de l’habitat insalubre et non réglementaire. C’est pour cela que nous avons milité depuis 2009 pour la promulgation du code de la construction, qui n’a jamais vu le jour, qui devrait, s’il est adopté, préciser le rôle de et les responsabilités de chacun des intervenants dans l’acte de bâtir.
Toutefois, à la lecture de ce texte de loi, nous nous rendons compte de son déphasage total avec la réalité du terrain en plus d’être en contradiction avec plusieurs lois en vigueur, notamment la Loi 12-90 relative à l’urbanisme, la Loi 25-90 relative aux lotissements, la Loi organique 113-14 relative aux Communes, la Loi sur la Vente en l’Etat Futur d’Achèvement (VEFA) promulguée tout récemment en 2015 et le Règlement Général de la Construction (RGC) adopté quant à lui en 2013.
La nouvelle loi 66-12 renforce le caractère coercitif des sanctions, notamment par l’institution de sanctions privatives de liberté et en excluant toute voie de recours. Elle renvoie également à plusieurs décrets d’application non existants, et l’absence de ces textes risquerait d’ouvrir la voie à des interprétations subjectives et à des pratiques abusives.
Il est regrettable que les professionnels du secteur n’aient pas été consultés lors de la rédaction de cette loi. Par profession, j’entends la Fédération Nationale des Promoteurs Immobiliers (FNPI), la Fédération Nationale du Bâtiment et Travaux Publics (FNBTP), la Fédération Marocaine du Conseil et de l’Ingénierie (FMCI), le Conseil National de l’Ordre des Architectes (CNOA), l’Ordre National des Ingénieurs Géomètres Topographes (ONIGT) et la Fédération des Matériaux de Construction (FMC).
Les incohérences répertoriées au niveau de la loi ainsi que les différentes contradictions relevées démontrent qu’elle a été rédigée de manière hâtive. En effet, la loi a été adoptée en plein mois d’août pour être publiée au Bulletin Officiel un mois plus tard.
Ainsi, plusieurs problèmes sont rencontrés à travers l’application de ce texte :
· La loi ne définit pas avec précision l’infraction. Celle-ci peut aller du déplacement d’une fenêtre, à la construction de surélévations de 2 ou 3 niveaux.
· Selon quels critères l’administration peut juger d’une infraction et de ce fait prendre les mesures adéquates en termes de contrôle et de sanctions ?
· Qu’est ce qui justifie le choix de donner aux auxiliaires de l’autorité et à des agents de l’administration le pouvoir de procéder à des visites inopinées de chantier, et ordonner le cas échéant d’« infraction constatée » l’arrêt immédiat du chantier pendant au moins 10 jours, allant jusqu’à 30 jours ?
Les articles 73 et 78 qualifient de complices tous les acteurs du projet qui auraient constaté une infraction et ne l’auraient pas dénoncée. Cet article est très grave et en l’absence d’une définition des intervenants et des responsabilités, toute personne liée de prêt ou de loin à un chantier peut être accusée de complicité.
De plus, la loi 66-12 exclut la commercialisation des lots de terrains avant la réception provisoire des travaux, ce qui expose le promoteur à un système répressif et bloquerait le mode de commercialisation préalable pour fin d’autofinancement.
La loi donne la possibilité au promoteur de commercialiser les lots après réception provisoire des travaux dans le cadre de la VEFA, mais ceci est en contradiction avec la loi sur la VEFA qui elle-même exclut la commercialisation des terrains.
L’autre contradiction qui est de taille, et qui posera problème au niveau de la gouvernance, concerne l’article 55 qui donne la possibilité au Gouverneur de se substituer au président de la commune en cas de non délivrance du permis d’habiter par ce dernier.
Or, nous savons que le Règlement Général de la Construction (RGC), stipule que seul le président de commune est habilité à délivrer le permis d’habiter sur la base d’une attestation remise par l’architecte en charge du projet. En cas de doute le Gouverneur peut jouer le rôle de médiateur entre les deux parties. Il s’agit donc d’une disposition contraire au RGC qui a été adopté il y à peine 3 ans.
L’article 63, prévoit que la démolition ne peut se faire qu’après obtention de l’autorisation de démolir délivrée par le Président de la commune, or dans la pratique cette autorisation n’est jamais délivrée. Elle se fait tout simplement systématiquement à l’obtention de l’autorisation de construire. Encore une fois, la loi renvoie à un texte qui n’existe pas encore et qui devrait régir cette procédure.
Nous relevons par ailleurs, un vide au niveau de 9 articles figurant sur la Loi mais dont la déclinaison et les procédures d’exécution nécessitent d’être précisées par des décrets d’application. Entre temps, les interprétations peuvent donner lieu à des abus de pouvoir et à des pratiques pouvant freiner l’investissement de manière générale.
Enfin, et de manière globale, je précise que nous ne sommes pas contre le contrôle ni les sanctions quand celles-ci sont fondées et révélées mais nous nous opposons à l’esprit de ce texte qui est rempli de contradictions et de dispositions et qui vont ouvrir la voie à différents abus.
La loi 66-12 va semer un vent de panique et d’incertitude auprès des investisseurs aussi bien nationaux qu’étrangers, parce que les règles ne sont pas clairement définies,
les sanctions de sont pas répertoriées, et le rôle des intervenants et la procédure de contrôle sont vagues est imprécis.
Le secteur passe par une conjoncture extrêmement difficile marquée par un recul des ventes et de la production, nous perdons chaque jour des emplois dans le secteur au lieu d’en créer, et une telle loi ne peut qu’aggraver la situation.
Mohammed Iqbal KETTANI
Directeur Délégué de la Fédération
Nationale des Promoteurs Immobiliers
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n° 146 – Janvier 2017
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