Abderrahman CHEBITOU est un architecte exerçant dans le privé à Casablanca. Militant de la première heure dans le circuit associatif il n’a jamais été économe de ses idées pour améliorer le quotidien de la profession. Il nous livre, ici, son point de vue sur cette loi scélérate et fait, en passant, un parallèle avec mariage de son frère en dépit de l’opposition de ses parents. Juste pour rire dit-il…!
La loi 66-12 est sortie dans un climat professionnel plein de doutes, de suspicions et de flou.
Elle a été promulguée loin du regard des curieux un 25 Août 2016 mais avec, il faut en convenir ; toutes les démarches administratives d’usage accomplies.
Les instances ordinales n’ont pas jugé utile de communiquer officiellement à ce sujet.
Dans l’impasse avec un mandat épuisé, largement dépassé et surtout et c’est le plus grave une défection officielle et officieuse des membres élus, le silence strident de notre corporation équivalait à un murmure disant : « CIRCULER IL N’Y A RIEN A VOIR ».
Personnellement toute cette histoire m’a étrangement rappelé le mariage de mon frère. Longtemps en relation avec sa fiancée, jugée trop libre au goût de ma mère, il a profité du voyage de nos parents pour accomplir le rite d’el HAJ afin d’officialiser un mariage contesté et remis en cause par nos géniteurs ; tout cela loin du regard des curieux.
Cette action nécessitait beaucoup d’audace et il en avait à revendre le bougre. Apparemment c’est un caractère commun entre notre ministre de tutelle et mon frère, le premier dans son désamour total des architectes et le second dans son idylle folle de sa bien-aimée.
Audacieux en amour donc, mon frère a forcé la main à mes parents pour accepter son union, mon père désabusé avait remué ciel et terre pour déceler un quelconque vice de forme pour annuler ce mariage.
Triste ressemblance avec ce que nous voulons faire pour cette loi 66-12 n’est ce pas ?
Pour arriver à ses fins il avait consulté ses amis, l’imam de la petite mosquée du quartier, le grand imam du vendredi et j’en passe. Les analyses et les verdicts fusaient de partout, au point que mon défunt père ne savait plus à quel saint se vouer.
Les quatre grandes écoles juridiques de l’islam y passaient :
Selon les HANAFITES rien d’anormale à signale ; pour les MALEKITES rien à signaler non plus ; pour les CHAFI3ITES et les HANBALITES, on a pu soulever quelques remarques, mais pas suffisantes pour annuler ce mariage.
Finalement tous les avis juridiques stipulaient en leur essence que l’union sacrée de mon frère et de sa fiancée s’est effectuée, j’allais dire selon les règles de l’art et ne souffrait, de ce fait d’aucun vice de forme.
Pour ma part et après tant de temps passé aux cotés de ces deux tourtereaux, je peux témoigner avec certitude que c’est l’un des mariages les plus réussis qu’il m’a été donné de constater.
Pouvons-nous espérer une si heureuse issue du combat contre la loi 66-12 ? Je n’en suis pas si sûr, mais j’aimerais tellement !
De la même manière, après les premières informations alarmantes au sujet de la loi 66-12 notamment sa date de sortie un 25 Août 2016 ! Apparemment nos parlementaires faisaient des heures supplémentaires, c’est louable me diriez-vous.
Ensuite l’objet et l’intitulé de la loi : Contrôle et répression des infractions en matière d’urbanisme et de construction. Tout un programme !
Désemparés nous nous sommes remis, comme mon défunt père, entre les mains des spécialistes : juristes chevronnés, ex-procureurs, avocats…
Les premières analyses parlaient de :
- Loi anticonstitutionnelle
- Loi contre les droits de l’homme
- Loi antinationaliste faisant fuir les investisseurs
- Loi faisant des architectes des bouc-émissaires en liberté provisoire
- Loi instaurée sans concertation avec les professionnels du secteur
Une deuxième lecture du texte de loi selon d’autres experts et analystes annonçaient, avec plus de nuances, que :
- La loi est constitutionnelle, quelques articles seulement sont anticonstitutionnels
- La loi a été discutée avec les architectes. Cependant, leurs recommandations n’ont pas été prises en compte…
Concernant les recours préconisés par ces mêmes spécialistes, on a eu aussi toute la panoplie dont je vous laisse juge :
- Saisir le cabinet royal
- Saisir la cour constitutionnelle
- Envoyer une pétition à la primature amendant ou carrément abrogeant la loi. Pour cela on a besoin de respectivement 5000 et 25000 signatures.
Et comme on ne recule devant rien les deux voies sont empruntées à l’heure où j’écris ces lignes.
Tout cela avec une communication très cafouilleuse car au lieu de communiquer au sujet des implications néfastes de la loi on communique notre peur, notre frustration et nos luttes intestines qui n’intéressent personne.
Maintenant, quatre mois après sa promulgation quelles sont les alternatives qui s’offrent à nous selon les juristes de tout bord qu’ils soient hanafites, malékites, chafi3ites ou hanbalites ?
Pas grand-chose diront les pessimistes, mais comme ils sont minoritaires parmi nous on dira il nous reste l’audace et la persévérance. Rappelez-vous les amis l’audace de mon frère et la persévérance de mon défunt père.
Il nous reste donc:
- Des décrets d’application à arranger avec qui de droit ;
- La vulgarisation de la loi au niveau national, régional et local ;
Pour ma part je crois dur comme fer à la grande mobilisation des architectes après la sortie de la loi 66-12. Elle est née pour combler le vide laissé par nos instances et il nous appartient de continuer le combat de la mobilisation et du militantisme pour espérer voir émerger des instances ordinales régionales et nationales représentatives et surtout compétentes.
AMEN.
Je vous souhaite chères consœurs chers confrères une bonne année 2017. Je ne sais pas ce que diront au sujet de mes souhaits les quatre grandes écoles juridiques mais comme je n’ai ni l’audace de mon frère ni la persévérance de mon père, je m’en fous des juristes.
Abderrahman CHEBITOU
Architecte
Casablanca 26/12/2016
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n°146 – Janvier 2017
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