Sous l’égide du ministère de l’Habitat et de la politique de la ville, le groupe ESPI, l’Ecole Supérieure des Professions Immobilières, a organisé les 17 et 18 mars 2016, au Palais des Congrès de la Palmeraie de Marrakech, le colloque International de l’Immobilier et la Construction au Maroc. Cet événement a permis de faire un état des lieux.
Le groupe ESPI place la réflexion autour de l’avenir des métiers du bâtiment et de l’immobilier au cœur de ses préoccupations. La construction, la gestion du bâti participent à la vie quotidienne des hommes et des femmes, des entreprises et des industries du pays. Mener une réflexion autour des métiers, de la réglementation, de l’innovation, du respect de l’environnement, de la poursuite de projets ambitieux est utile pour tous les professionnels. Le groupe ESPI a souhaité réunir les acteurs majeurs du secteur pour être force de propositions. Les conférenciers ont abordé les questions de la production et du financement du logement, de la qualité et du respect du développement durable, de la diversité des métiers dans le secteur et de la réglementation nécessaire.
Parmi les entreprises présentes à cette rencontre on site Ademe, Adere, Arthur, Bouygues Immobilier Maroc, Business Realties, CBRE, CIH, Crédit Foncier, FNAIM, Immo Colapinto, Loiselet & Daigremont, JLL, Procivis, UNIS et Wafa Immobilier
Un espace de débat constructif.
Parmi les sujets qui revinrent abondamment, celui de la sensibilisation et de la formation, et une volonté transversale, collectivement partagée, de faire de ce domaine un point angulaire. Savoir, transmettre, la preuve par le fait… Cet écho à l’ADN de l’organisateur, le groupe ESPI, est une confirmation sans étonnement, de l’importance du sujet et de l’opportunité qu’il y avait à ce qu’un acteur de la formation dans les métiers de l’immobilier soit instigateur aux côtés des parties prenantes marocaines et françaises.
Plusieurs messages clefs et des recommandations retenues.
Ce colloque aura indéniablement été celui du « parler vrai », empreint de véracité dans les contributions, animé par un souci de réalisme constructif : dire pour construire ! Il s’est alors agi de qualifier les efforts et travaux accomplis en exposant, en explicitant dans le détail, (à l’instar de Mme El Merini, directrice de la promotion immobilière au ministère de l’Habitat et de la politique de la ville) les outils, les programmes et dispositifs d’accompagnements, notamment financiers, mis en œuvre. Mais qualifier l’actif s’est accompagné, sans détour, d’un diagnostic du « reste à faire », des besoins en attentes ; qui d’un foncier à libérer, de cadre pour des professions à réglementer, d’une harmonisation et d’une mise en cohérence des cadres juridiques et normatifs… En l’occurrence, dire les attentes a permis de donner force à l’altérité, pour s’éclairer des pratiques de l’autre, sans ignorer ni dénier ses propres insuffisances. Le Maroc comme la France ont contribué aux débats, ont écouté l’autre dans sa singularité.
Ainsi le Maroc s’est-il montré attentif aux témoignages, aux expériences. Outils financiers et fiscaux tels les aides nationales pour lutter contre la précarité énergétique, l’éco-prêt à taux zéro et le crédit d’impôt transition énergétique, adressant des catégories aux potentiels économiques différents. Pratiques (structures et organisations) d’économie sociale et solidaire, de mode opératoire d’élaboration de la réglementation thermique française associant en amont les acteurs de la société civile, érigée en force de proposition à l’adresse de l’Etat pour relayer le dispositif ensuite en forme juridique. Capitalisation des bonnes pratiques et réalisations, pour mettre en exergue les possibilités de faire et les conditions qui y sont attachées, en soulignant la nécessaire diffusion de ces savoirs au bénéfice collectif, au travers d’outils de diffusion et d’appropriation dédiés. La nécessaire et salvatrice clarification des rôles et articulations entre acteurs de la chaîne de valeurs des mondes du bâtiment et de l’immobilier…
La France elle aussi fut attentive, éclairée par l’approche marocaine du dispositif VEFA et les conséquences qui s’y attacherait par transposition au modèle français. Ce fut aussi le cas lorsqu’il s’est agi d’évoquer la place et le sens donnés aux notions de consommation et de consommateur dans nos univers respectifs, en matière d’immobilier plus particulièrement encore.
La locomotive marocaine
Ce colloque fut aussi placé sous le jour d’ambitions affirmées, à dessein. Evoqué en cette occasion la « locomotive marocaine », le volontarisme des acteurs locaux a fait sens et a permis de sentir une fierté derrière les témoignages. D’autant plus que cela s’est fait sans ingénuité, avec beaucoup de maturité, fort d’un regard critique et réaliste sur les réalités du quotidien. On en voudra pour preuve l’évocation à de nombreuses reprises de la place de l’ « informel » dans la pratique et des limites qui s’y attachent, assortie de propositions pour solutionner et sécuriser, in fine notamment, les transactions et plus largement, les marchés concernés, et réduire les effets actuels possiblement défavorables sur les relations commerciales notamment à l’international. De la même façon, si l’existence de règles a été rappelée, leurs insuffisants respects et sanctions, leur trop faible nombre aussi ont pu être souligné. Enfin, l’exemple du portage d’un label de qualité « made in Maroc », en regrettant un portage encore trop timide des outils actuels, a mis en évidence une croyance en une démarche mûre de recherche de qualité collectivement souhaitée.
Scruter l’avenir Pas d’étonnement donc à ce que ce colloque réserva une place fondamentale à l’avenir. Investir l’avenir, en être un acteur mobilisé, attentif aux changements d’échelles (du bâtiment à la ville…). L’exemplarité a été dite, invoquée, revendiquée avec un objectif dès que possible d’excellence. A cet égard, si le rendez-vous avec la modernité (exemple du projet Anfa) est déjà d’actualité, la force de se projeter réside aussi dans la richesse des savoir-faire « ancestraux » : éclairer l’avenir des acquis d’un passé riche de pratiques aux accents de modernité. Ce dualisme où l’immeuble de grande hauteur d’un nouveau quartier coexiste avec des constructions terre, pierre, biosourcées et vernaculaires, a été rappelé avec force, sans déni et avec une modernité doublée du bon sens. Enfin, a été réaffirmée l’importance d’accompagner les mutations « du bâtiment au quartier durables » où la qualité des produits, du bâti, la « durabilité » des ouvrages sont des éléments essentiels, dès lors qu’ils sont économiquement acceptables pour rassurer l’usager, le consommateur, acteurs clef de ces écosystèmes. L’acceptabilité, la traçabilité et l’accessibilité sont des notions majeures.
Restructurer la filière
Pour ce faire, des adaptations notamment juridiques et structurelles sont nécessaires. Plusieurs domaines ont été particulièrement visés. Poursuivre la structuration des acteurs, des métiers, des filières : des propositions ont été faites pour les besoins des professions à réglementer.
« Professionnaliser en encadrant les métiers et les contenus » (exemple pris de la gestion en copropriété saine pour en faire un levier de développements…). Dans ce sens, a été particulièrement soulignée l’importance de la fiabilisation des outils disponibles : maîtriser les informations rigoureuses et en temps réel sur les biens, disposer de cadres stables juridiques et fiscaux, avoir accès à des documents contractuels rigoureux et clairs, afin aussi d’avoir une maîtrise, une réduction « de l’informel » et de sécuriser les transactions. Evidemment le colloque a été l’occasion de marteler l’importance d’un accès aux connaissances et savoirs, de la formation à l’adresse de tous les acteurs de la chaîne de valeurs du bâtiment à l’immobilier. La pédagogie ayant été vue comme une récurrence s’exerçant dans des cadres adaptés reposant sur l’adage de la nécessaire « preuve par le fait », rendant accessible et tangible auprès de tous les réalités de certains seulement. Cette alchimie sert alors à alimenter de manière croissante la courbe de confiance vers une qualité retrouvée et duplicable. Il faut donc soit adapter soit créer les cadres propices à cet effet.
L’importance du maintien, du renfort de la dynamique constitué par le « tandem » acteurs privés et publics a été souvent mentionnée. Volontariat, dynamisme, créativité et anticipation des modèles (en témoigne les acteurs investis dans les VEFA avant les textes) comme apanages du privé ; soutien des pouvoirs publics par l’exercice des réglementations et la mobilisation de financements incitatifs adaptés aux secteurs priorisés. L’Etat dans ses fonctions et missions est attendu. Les mots sont forts et révèlent au demeurant les espérances des acteurs. Entre des lois dites, avec fracas parfois, « mortes nées », vécues comme insuffisantes, ou en attente de textes d’application ou tout simplement en attente de production ; le constat pose une question centrale qui trouve des deux côtés de la Méditerranée des réponses différentes. La quantité de textes trop abondants pour les uns, en France, par trop absents pour les autres, au Maroc, ne doit de toute façon pas éclipser l’importance décisive de la qualité et de la portée du texte et du sujet qu’il traite. De même que l’équilibre est souvent niché dans le compromis, qui permet aux parties, aux marchés de jouer leurs rôles à côté et avec les textes en vigueur…
C’est donc d’équilibre aussi qu’il fut question lors de ce colloque, avec une vraie maturité collective, formulant le souhait de trouver des solutions équilibrées sans prétendre tout résoudre immédiatement. Des pistes ont donc été ouvertes sur tous les domaines investigués pour poursuivre ce travail. Faut-il légiférer pour se doter d’un code de la construction ? D’un code de la copropriété ? Faut-il davantage de règles contraignantes (« passer de 3 à 200 normes ») ? Faut-il un label marocain exclusif, gage de qualité, ou d’autres mécanismes conventionnels, réglementaires ? Les outils de l’économie sociale et solidaire tels que pratiqués en France, notamment du point de vue des règles de gouvernance, de l’implication des collectivités territoriales en sorte dotées de délégations précises, sont- elles transposables au Maroc ? Les outils alternatifs innovants en termes de financements sont-ils garants d’une résolution pérenne des modes actuels de financements majoritairement sur fonds propres et informels ? Ces questions se posent à la fois sur les outils de finance islamique, pour le tiers financement à la française reposant sur une implication publique forte en secteur décentralisé, ou encore sur les VEFA de nouvelles générations au Maroc. Que d’interrogations qui jamais n’ont cédé à la tentation de prôner un « copier-coller » hasardeux et peu respectueux des particularismes, des cultures, des usages…
L’année 2016 et la tenue de la COP 22 pourra aussi être l’occasion de revenir et d’abonder ces sujets, de témoigner les réalisations, les actions en cours. Pourquoi pas une journée de l’immobilier ?
Le mot de la fin en rebond à l’hommage rendu par Me Pelletier au génie humain par sa créativité, est revenu à l’importance de la place de l’humain dans tous ces sujets. S’associer tous en amont des processus pour nourrir les outils, dispositifs et modes opératoires garants de la confiance et de la sécurité des activités, source de toutes les satisfactions.
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n° 138 – Avril 2016