Les grands constructeurs électriques cherchent régulièrement à faire partager leur rêve : ils décrivent un monde futur, lumineux où tout sera plus électrique qu’aujourd’hui. Les Smart-Cities vont-elles s’inscrire dans cette tendance? Cette vision a-t-elle du sens pour les villes? Ou n’est-elle qu’une incantation lancée par les industriels, semant le trouble sur un marché nostalgique des croissances d’antan? On observe aujourd’hui plusieurs évolutions pouvant influencer la réponse aux questions posées mais toutes ne vont pas dans le même sens.
Le développement du taux d’équipement des ménages contribue, dans tous les pays européens, à la hausse de la consommation électrique. En France, cette croissance est surtout induite par les ordinateurs, les périphériques associés et les divertissements (consoles de jeux etc…).
Quelques nouveaux usages électriques apparaissent et offrent eux aussi des perspectives de croissance de la consommation et des usages électriques : parmi eux, le plus emblématique est probablement le véhicule électrique. Le rythme de développement est plutôt modéré : la part de marché des véhicules électriques purs reste bien inférieure à 1%. Les prévisions pour la décennie à venir varient dans des proportions importantes entre les différents analystes se risquant à cet exercice. L’impact final sur la consommation électrique est difficile à évaluer ; néanmoins, il sera perceptible.
Les bâtiments représentent une très forte proportion (environ 45%) de la consommation énergétique des villes ; dans les bâtiments, exceptés ceux construits selon les nouvelles normes, encore peu nombreux, les usages les plus consommateurs d’énergie sont les usages thermiques (chauffage, climatisation, eau chaude sanitaire) (de 70% à 75% de la consommation énergétique des bâtiments). Compte tenu du temps et de l’argent qu’il faudra pour rendre la majorité des bâtiments existants thermiquement performants, c’est à dire conformes aux derniers standards, la prédominance des applications thermiques dans la consommation énergétique des bâtiments est une donnée durable.
Pour ces applications thermiques, plusieurs tendances les affectent lourdement et conduisent à une baisse très significative des consommations électriques associées :
• Les solutions évitant la conversion d’énergie primaire en électricité (type réseaux de chaleur bien appropriés à certaines configurations urbaines) ont souvent un rendement plus intéressant et un coût moins élevé. Elles ont aujourd’hui le vent en poupe et les pays, comme la France, leur ayant tourné le dos dans le passé, leur font désormais les yeux doux.
• Les pompes à chaleur ont également un rendement supérieur aux solutions 100% électriques ; elles ont bien sûr moins recours à l’électricité.
• De même, les solutions partagées entre plusieurs logements ou plusieurs immeubles sont souvent plus efficientes.
La tendance est donc à la récession des solutions 100% électriques dans les pays, comme la France, qui les ont privilégiées dans le passé, au profit d’une desélectrification d’applications parmi les plus consommatrices d’électricité.
Les différentes actions d’efficacité énergétique, fortement promues par les différents corps règlementaires et législatifs en Europe contribuent, elles aussi, à une baisse de la consommation électrique : les appareils ménagers et domestiques ont vu leur consommation unitaire continuellement réduite depuis plusieurs années. Les moteurs, représentant la part majoritaire de la consommation dans l’industrie, sont devenus nettement moins gourmands en électricité. Aujourd’hui, nos comportements eux mêmes évoluent pour devenir moins énergivores.
Les Smart Cities sont directement actrices de certaines évolutions : les réseaux de chaleur peuvent facilement bénéficier de certaines sources d’énergie vertueuse (géothermie, combustion des déchets, récupération de la chaleur fatale de certaines industries etc…) et trouvent dans cette caractéristique une légitimité supplémentaire auprès des villes. Elles participent, en lançant leurs propres programmes de réhabilitation énergétique et d’efficacité énergétique à la baisse la consommation.
Peut-être les nouveaux usages induiront-ils dans certains pays un surplus de consommation électrique mais il y a peu de chance qu’ils puissent compenser les effets de la récession de consommation évoquée ci dessus.
La vision d’un monde tout électrique ne correspond probablement pas à la vision d’un monde énergétiquement efficient, notamment dans les villes. Les tendances actuelles plaident plutôt pour une desélectrification de certaines applications fortement énergivores et pour une baisse drastique des consommations unitaires des appareils, des ménages et des industries. Cette vision fut, et reste, en Europe, une vision plus attachée à des volontés d’industriels, soucieux de promouvoir et développer leurs productions. À leurs actionnaires d’être vigilants sur la croissance réelle de leur marché !
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n°150 – Mai 2017
Par Eric Morel du site :
lemondedelenergie.com