Qu’offre la nouvelle législation marocaine sur les baux commerciaux (loi n° 49-16) ? Maitre Nesrine Roudane*, Associée-gérante, NERO Boutique Law Firm, a fait une présentation sur ce sujet, lors du colloque ESPI, autour de 4 axes principaux, notamment : Comment tirer pleinement parti de ce nouvel environnement, que l’on soit propriétaire ou locataire ? Comment adapter sa documentation contractuelle ? Comment éviter les conflits ? Comment gérer les différends s’y rapportant ?
Caractéristiques principales
Cette nouvelle loi, entrée en vigueur depuis le 11 février 2017, se caractérise par plusieurs aspects qui la rendent meilleure par rapport à la précédente. Parmi ces caractéristiques, on peut citer : une rédaction plus claire, avec des termes plus contemporains, une harmonisation avec d’autres dispositions légales, notamment fiscales et la jurisprudence en la matière, ainsi qu’un meilleur équilibre entre le droit de propriété commerciale et droit de propriété foncière.
Sont régis par la nouvelle loi, les baux d’immeubles ou locaux dans lesquels est exploité un fonds de commerce appartenant à un commerçant, artisan ou industriel et les baux d’immeubles ou de locaux accessoires au lieu où est exploité le fonds de commerce.
Les baux de terrains nus sur lesquels ont été édifiés avant ou après la location, des constructions pour l’exploitation d’un fonds de commerce sous réserve de l’acceptation du propriétaire (baux à construire, assez rare au Maroc).
Les baux d’immeubles ou locaux à usage commercial, industriel, artisanal appartenant au domaine privé de l’Etat, aux collectivités territoriales ou aux établissements publics.
Les baux d’immeubles loués par les établissements d’enseignement privé, les coopératives à objet commercial, les cliniques privées et établissements similaires, les pharmacies, les laboratoires privés d’analyses biologiques médicales et des cabinets d’examen radiologique.
Pour rappel, les baux exclus du champ d’application de la nouvelle loi, sont régis, pour l’essentiel, par les article 627 à 699 du Dahir du 12 août 1913 formant Code des obligations et des contrats (DOC), sauf lois spéciales qui prévaudraient (cas notamment de l’occupation temporaire du domaine public ou du crédit-bail) ou stipulations contractuelles dérogatoires dans tous les cas où cela est permis.
Nouveautés
La « grande » nouveauté de cette loi réside dans le fait que le bail commercial doit faire l’objet d’un contrat écrit ayant date certaine, avec obligation de réaliser un état descriptif des lieux loués (les parties à un bail verbal peuvent convenir à tout moment de conclure un contrat conforme à la loi). L’existence d’un bail écrit est déterminante pour enclencher certaines procédures ou obtenir certaines indemnités.
Pour rappel, l’enregistrement des baux commerciaux est obligatoire (au taux fixe de 200 dirhams) et donne date certaine aux actes concernés.
Autre nouveauté, le droit au renouvellement du bail commercial (le « droit au bail ») s’acquiert après deux ans d’occupation (seulement) sauf en cas de versement d’un « pas de porte », constaté par écrit dans le bail ou dans un acte séparé (droit au bail automatique).
De même, la nouvelle loi implique que les charges locatives sont incluses dans le loyer sauf stipulation contractuelle expresse à l’effet contraire.
Locaux abandonnés
En ce qui concerne la question des locaux abandonnés, la nouvelle loi stipule notamment que :« Si un locataire abandonne un local et d’exploiter pendant 6 mois, le bailleur peut demander au président du tribunal d’ordonner, après enquête, l’ouverture du local et la récupération des lieux; Si le locataire reste absent 6 mois après l’exécution de l’ordonnance, celle-ci devient définitive et le bail est résilié ; Si le locataire réapparait pendant l’exécution de l’ordonnance, il est sursis à exécution et le président du tribunal peut accorder au locataire un délai de 15 jours pour régulariser sa situation sous peine de continuer l’exécution » .
Quant au droit au retour, la nouvelle loi précise qu’en cas de démolition ou de reconstruction, le bailleur doit être propriétaire des locaux depuis au moins 1 an et doit verser au locataire une indemnisation provisoire égale à 3 ans de loyers tout en préservant son droit au retour. En outre, le locataire peut réclamer en sus les frais d’attente et le tribunal mettra à la charge du bailleur au moins la moitié des frais prouvés par le locataire. De même, le locataire aura droit à une réparation intégrale du préjudice si son droit au retour n’est pas préservé ou s’il ne réceptionne pas un local dans les 3 ans de son expulsion.
Constructions menaçant ruine
Dans le cas des constructions menaçant ruine, le locataire n’a pas droit au retour ou à indemnisation sauf si l’immeuble est restauré ou reconstruit dans les 3 ans de l’éviction. Pour sa part, le président du tribunal en sa qualité de juge des référés est compétent pour connaitre des demandes d’éviction et pour déterminer l’indemnité provisoire. Par ailleurs, si les locaux ne sont pas remis à disposition dans le délai imparti, le locataire a droit à une indemnisation complète.
Sur un autre registre, la nouvelle loi prévoit la possibilité d’éviction du local annexe affecté à l’habitation du bailleur lui-même ou de son conjoint, ses ascendants ou descendants directs de premier degré, les bénéficiaires du testament obligatoire ou le Makfoul, et ce à condition de verser au locataire une indemnité correspondant à 3 ans de loyers et d’y habiter au terme de 6 mois pendant une durée minimum de 3 ans. A défaut, le locataire pourra réclamer la réparation du préjudice subi, égale à 18 mois de loyers supplémentaires.
Clause résolutoire
Contrairement à l’ancien régime, la nouvelle loi introduit une clause résolutoire où le pouvoir d’appréciation du juge semble réduit. Ainsi en présence d’une clause résolutoire, le bailleur peut mettre en demeure le locataire défaillant n’ayant pas payé 3 mensualités.
Si cette mise en demeure reste infructueuse pendant 15 jours à compter de sa réception, il peut saisir le juge des référés pour constater la réalisation de la condition et ordonner la restitution du local.
En ce qui concerne la gestion des différends, Me Nesrine Roudane a soulevé lors de sa présentation plusieurs problématiques relatives au délai de six mois avant la prise d’effet des dispositions de la nouvelle loi, et qui expirera bientôt. Or, ces problématiques sont relatives aux instances en cours, à la révision et mise en conformité des contrats en cours, à la juridiction du tribunal de commerce, ainsi qu’à la médiation et l’arbitrage.
Une loi à perfectionner
En conclusion de sa présentation, Me Nesrine Roudane a mis en exergue le fait indéniable que la nouvelle loi a le mérite de dépoussiérer le cadre juridique applicable aux baux commerciaux. Néanmoins, elle souligne le fait que pour certains locataires, la nouvelle loi représente une perte considérable de droits pouvant être considérés comme acquis alors que, pour certains propriétaires, la nouvelle loi représente une opportunité de résilier certains baux sans devoir payer d’indemnité d’éviction ou de contester la valeur donnée au fonds de commerce
Enfin, elle conclut son exposé en constatant que « malgré des qualités indéniables, la nouvelle loi ne manquera pas de soulever quelques difficultés d’interprétation ou d’application, qu’il vaut mieux, dans la grande majorité des cas, anticiper et régler à l’amiable avant son entrée en vigueur ».
Mini bio de Nesrine Roudane
Nesrine Roudane est avocate en droit des affaires spécialisée en droit social (emploi et travail), droit de l’environnement (énergie et ressources naturelles), droit du commerce international (investissement et changes) et en droit de la consommation (publicité et protection du consommateur). Elle est aujourd’hui associée NERO Boutique Law Firm.
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La rédaction
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n°150 – Mai 2017