Chantiers du Maroc : Quel est pour vous l’intérêt de vous implanter en Afrique ? Et pourquoi l’avoir fait à travers le Maroc ?
Jos Lenferink : « Tout d’abord, je représente un groupe Allemand qui est le numéro un de son métier. Nous concevons les meilleures menuiseries au monde et nous extrudons les profilés PVC pour ces menuiseries. Les meilleurs, car ces profilés permettent d’isoler au mieux les bâtiments, du chaud, du froid, du bruit, et sont aussi aujourd’hui très esthétiques. C’est une réponse aux besoins de confort des utilisateurs, mais également à de plus grands enjeux comme le fait de réduire le réchauffement climatique. Le groupe allemand VEKA réalise à peu près 500 millions de mètres de profilés PVC par an rien qu’en France. Il est à l’origine d’environ un million de fenêtres par an. C’est un produit extrêmement prisé en Europe et qui a une croissance répétitive, très dynamique depuis les années 70, car on est passé de 0% de parts de marché du PVC en 1972 à 65% aujourd’hui. Pourquoi ? Parce qu’il est beau et qu’il isole très bien. En France, en Allemagne, l’aluminium représente environ 20%-22% et le bois 10% ou même moins d’ailleurs, car il est en forte diminution.
Je représente pour ce groupe là le Président Directeur Général de l’Europe du sud-ouest et de trois quarts de l’Afrique francophone, lusophone et hispanophone et nous avons fait le constat que le continent est très prometteur, qu’il y a du talent, des ressources. C’est le moment pour nous de voir ce continent se développer de façon très dynamique et nous avons aussi fait le constat que le pays le mieux placé pour accompagner cette croissance serait le Maroc. De par sa proximité avec l’Europe et de par aussi sa richesse linguistique, de par les connexions du Maroc vers d’autres pays de l’Afrique.
Donc, nous avons décidé d’aller regarder avec qui est-ce que l’on pourrait conclure un partenariat très prometteur ; et puis j’ai eu la grande chance de rencontrer Sabry ZIADI, qui fait le même métier que moi, c’est-à-dire, concevoir de très bonnes fenêtres et de proposer des profilés PVC pour les fabricants de fenêtres. Car, bien entendu, nous ne fabriquons pas les fenêtres, ce sont nos clients qui reprennent le concept de nos fenêtres, et reprennent les profilés PVC, achètent le vitrage et la quincaillerie en plus. On est concepteurs, ce n’est pas la même chose car c’est quand même nous qui concevons toute la menuiserie et les clients fabriquent leurs menuiseries en fonction de nos préconisations. Ils n’ont pas le droit de faire autre chose, que ce qui suit nos préconisations. Parce que ces systèmes sont certifiés. Nous avons donc eu la chance de nous rencontrer et de partager nos visions communes et on s’est rendu compte que nous étions extrêmement complémentaires : d’un côté VEKA souhaite s’implanter sur ce continent, avec le Maroc comme pays d’excellence et puis pour Sabry, c’était une belle opportunité aussi car nous pouvons en complément de ce qui est produit ici, fournir quelques produits très haut de gamme et qui permettent de répondre aux besoins de certaines architectures avec des finitions spécifiques qui ne représentent pas une grande part du marché mais où il faut être présent pour démontrer l’esthétique et la qualité du produit ».
Quel est le taux de pénétration de vos produits au Maroc ?
J.L : « Le taux est d’à peu près 5%, ce qui est très très faible !».
C’est en effet un taux très prometteur, mais comment cela fait-il que la menuiserie PVC n’ait pas pris sur des pays comme le nôtre et pourquoi les grands du métier ne se sont pas intéressés plus tôt à faire démarrer ce marché ?
J.L : « Je pense qu’il y a un parallèle avec ce qui s’est passé sur les marchés européens, VEKA a toujours eu la bonne idée de s’implanter dans un pays où il n’y avait quasiment pas de marché. En fait, nous avons créé le marché, parce que tout d’abord, à l’époque en Europe, les gens utilisaient majoritairement des menuiseries en bois qu’on repeignait tous les deux ans. On ne savait plus quoi en faire lorsqu’ils étaient en fin de vie car ça ne se recycle pas. Ils ont alors trouvé ce matériau qui est beaucoup plus durable, et recyclable par la même occasion, et que ce produit isolait beaucoup mieux. Partout dans le monde, l’utilisateur final veut un bel espace de vie, c’est-à-dire être en sécurité, être à l’abri du bruit, de la rue, et là le PVC isole naturellement mieux contre les nuisances sonores, contre le chaud et le froid. Nous savons aujourd’hui que le bâtiment consomme généralement 42% de la consommation énergétique. On utilise soit beaucoup de climatiseurs, soit beaucoup de chauffage. Là, le PVC a naturellement cette capacité d’isolation que l’aluminium peut atteindre aussi mais en incluant un peu de PVC, les fameux rupteurs de ponts thermiques qui sont assez coûteux en fait. Donc pour nous, le moment est venu de nous implanter ici, de profiter de l’évolution de l’esprit des gens, notamment avec la COP 22 à Marrakech en 2016. Le PVC est un matériau qui réduit la consommation énergétique et qui réduit donc le réchauffement global car il est en plus recyclable. Durant ce processus, le PVC est chauffé à 200° tandis que l’aluminium est chauffé à 1000. Donc le bilan CO2 du PVC est bien meilleur, contrairement à ce qu’on pense. Ce qui est marrant d’ailleurs car dans l’esprit des architectes, le PVC n’est pas écologique alors que lorsqu’on gratte un peu, l’argument principal est que par le passé le PC était moche, car il a commencé à trouver son envol en Europe dans le logement social. Ce qui n’était pas le cas en Allemagne où il était utilisé dans des maisons et villas de prestige. L’image de ce produit a beaucoup évolué car par exemple à 30 cm de recul, vous ne savez pas si vous êtes face à de l’aluminium ou du PVC car les finitions sont absolument fabuleuses ».
Qu’est-ce que vous apportez à votre partenaire MEKSA qui puisse faire que, ensemble vous pouvez faire ce qui n’a pas été fait avant ?
J.L : « D’abord, MEKSA nous apporte beaucoup, et ce pays, le Maroc, nous apporte également beaucoup. La première chose que le Maroc nous apporte c’est cette possibilité d’ouverture sur l’ensemble du continent. De plus nous avons un marché qui est mature pour basculer vers le PVC et le faire croître de façon conséquente. Ensuite, nous avons sur place la production de la matière première. Pour nous, la proximité de cette matière première est très importante. Il y a un écosystème favorable pour le développement de cette industrie.
Nous avons la possibilité de produire les profilés ici. Il y a beaucoup d’artisans au Maroc qui sont très très agiles avec leurs mains, et ces profilés exigent une main d’œuvre disponible, motivée, investie et créative, ce qui fait que le marché est propice au développement. Sabry, avec son entreprise est très bien positionné pour cela ».
Qu’est-ce que VEKA apporte à MEKSA alors ?
Sabry Ziadi : « Dans le cas du partenariat, il y a une complémentarité qui vient se mette en place, c’est-à-dire que VEKA possède une gamme beaucoup plus développée que la nôtre, et avec ce complément de gamme, on arrive à couvrir toutes les possibilités qu’un architecte peut présenter. Ils ont un concept que je vais laisser Jos décrire, et qui est le concept XXL, propre à VEKA et ce qui fait de lui un partenaire idéal : c’est la finition spectrale qui est juste exceptionnelle. On a l’impression de toucher de la soie ».
J.L : « Avant, on regardait à travers les fenêtres, aujourd’hui on les touche, on les caresse, ça devient extrêmement esthétique et c’est une vraie rupture technologique associée à notre système XXL, qui nous permet d’aller chercher des dimensions de fenêtres plus larges et plus hautes, avec une grande surface de vitrage. Allez sur le site internet veka-spectral.fr et vous pouvez découvrir le spectral par une visite virtuelle qui vous donne l’impression de rentrer dans le Mucem de Marseille. C’est très joli, et ce qui est exposé c’est cette finition spectrale qui s’apparente à des tableaux. C’est une exclusivité VEKA, qui permet à la fois d’avoir ce toucher très fin mais aussi une excellente résistance aux rayures, aux graffitis, et permet de les enlever très facilement, sauf si vous préférez que ça reste comme expression artistique !»
On peut dire qu’il y a un transfert de savoir-faire, de technologie ?
S.Z : « On va dire que c’est plutôt un complément de gamme. Le transfert de technologies ou d’informations, est plus au niveau des formations. Les employés chez MEKSA pourront aller dans les usines de VEKA en Europe pour se former sur la manière de travailler, d’extruder, car ils possèdent des équipements plus développés, des connaissances et des expériences plus importantes. Ils vont nous accompagner par exemple dans la mise en place d’un cahier de charges pour l’élaboration de l’éco-sol, qui est une gamme qui appartient à VEKA, qui est leur best-seller. C’est un système coulissant, qui connait un succès fou en Europe. Ils vont nous accompagner pour l’élaboration de cahiers des charges selon les dernières améliorations, versions de l’éko-col au Maroc. C’est une gamme qui est extrêmement performante et que nous n’aurions pas pu, très sincèrement, développer seuls. Ils ont un centre de recherche et de développement très avancé ».
J.L : « Notre centre recherche est situé à Thonon les Bains. Dans ce métier il faut être bon dans la conception de la fenêtre, connaître parfaitement son marché, son besoin aujourd’hui et demain. Sur la partie digitale, on a pu insérer des puces électroniques dans chaque fenêtre ce qui permet une traçabilité parfaite. Si vous avez un souci, vous n’avez plus besoin de faire appel à un technicien pour venir prendre des mesures, vous pouvez simplement depuis votre smartphone avoir toutes les informations concernant votre fenêtre. Et ça permet aussi d’ailleurs d’avoir la traçabilité de la composition de la fenêtre, de savoir où les gens ont installé leurs fenêtres et proposer des services après-vente ainsi que pleins d’autres innovations.
On est experts dans le concept de la fenêtre, experts dans l’extrusion qui est un métier assez complexe parce qu’on ne parle de plus de poudre, mais ça devient une pâte qui devient rigide, un peu comme si vous mettiez un gâteau dans un four, il n’a pas toujours la même forme, mais là, il doit l’avoir. Il faut être expert dans ce métier-là, ensuite il faut être expert dans la partie logistique, et il faut être expert dans le métier de nos clients. Ces derniers qui fabriquent des menuiseries qu’ils vendent sur différents segments : à des promoteurs, à des artisans, à des particuliers… Et le métier de VEKA est aussi d’aider tous ces artisans à réussir. On a aussi la possibilité de se rapprocher d’architectes et concepteurs, à travers des logiciels tel que BIM qui permet de programmer les capacités d’isolation. Avec ces logiciels, l’architecte aura la certitude que la fenêtre correspond à son objectif d’isolation thermique par exemple. Et à la fin, quand la fenêtre est installée dans le bâtiment, hop, avec mon smartphone je bipe sur la puce électronique qui va me confirmer la conformité de ces données. Nous organisons aussi des webinaires avec nos clients sur l’évolution thermique et réglementaire, sur la façon dont on fabrique ces menuiseries de la meilleure façon possible, nous formons nos commerciaux.
Il y a donc toute cette partie accompagnement qui est aussi très importante. Nous avons ce concept de qualité qui est essentiel pour nous et cela s’inscrit tout de même dans la recherche de sens que nous avons tous dans la vie et que les jeunes ont encore plus fortement aujourd’hui. Chez VEKA, on offre de meilleurs espaces de vie, de confort, mais on essaye aussi de créer du sens sur la partie environnementale. Je vais vous raconter une toute petite histoire : à la fin des années 80, le PVC était critiqué en Allemagne, car on disait : “c’est bien le PVC, on n’a plus besoin de repeindre tous les deux ans, et ça dure longtemps” et il y avait aussi Greenpeace qui interrogeait la question de l’environnement. Le fondateur de notre groupe, VEKA, entreprise familiale, non cotée en bourse a pensé que Greenpeace n’a pas tort et qu’il faudrait peut-être faire quelque chose. Il s’est alors réuni avec ses confrères pour travailler sur le développement d’un processus de recyclage, totalement innovant.
Ils ont mis des ingénieurs dessus, des universitaires, et ont créé un groupe de travail. En fin de compte ces techniciens ont trouvé un concept d’usine de recyclage de menuiseries PVC en fin de vie totalement automatisé. Sauf que ça coûtait, à l’époque, 30 millions de deutschemarks. Malgré ce coût exorbitant il l’a tout de même construit… dans l’ex RDA. Aujourd’hui il y en a 3.
Donc vous jetez une fenêtre en PVC en fin de vie d’un côté de l’usine et puis de l’autre vous obtenez de la matière première à savoir du PVC, du vitrage, acier, tous séparé et qui repartent pour le processus de production. C’est pour cela aussi que nous sommes concernés par ce concept de qualité, et ce, jusqu’à la fin de vie de nos produits. Mais aussi, par le concept de qualité d’assistance à nos clients. Et là, il y a une chose extrêmement intéressante et importante, et que si on s’engage pour la qualité, VEKA et MEKSA, ne peuvent pas, ensemble, simplement être concernés par la fenêtre, il faut considérer la fenêtre dans son bâtiment. Ce qui veut dire qu’il faut former les gens qui posent nos fenêtres. Avec Sabry, je pense que nous avons un partenariat fort de développement et d’accompagnement, d’assistance technique etc… Un accompagnement dans un projet de croissance qui vise d’abord, bien sûr, le marché national puis international. Avec cet avantage d’avoir de la matière première ici, d’avoir la production et le marché sur place ».
S.Z : « Cet aspect est important, parce que si l’on met le tout ensemble, c’est que la présence d’un producteur de matière première au Maroc, un producteur, extrudeur qui a envie d’être proche des standards internationaux et qui pouvait faire cet accompagnement est quelque chose que Jos a pris en compte. Cette volonté de se développer et de développer l’Afrique qui est aujourd’hui un continent possédant une vraie présence, s’est d’autant plus marquée après la crise sanitaire de la COVID 19. Le Maroc, avec son envie de s’industrialiser a poussé nos échanges devenus de plus en plus accrus avec le Ministre de l’Industrie qui est sorti à l’étranger et qui a rassuré un peu, puisqu’il voulait une production nationale avec une matière nationale, pour envoyer sur le continent africain selon des standards de fabrications allemands. Cette partie est essentielle et c’est cela qui a scellé cette relation entre nous ».
Quels sont les pays que vous avez en ligne de mire ?
J.L : « Les premiers pays visés pour nous sont les pays de l’Afrique francophone, parce que c’est là où il y a déjà un petit taux de pénétration de la fenêtre PVC. VEKA a déjà quelques clients dans ces pays-là, mais on voudrait d’abord réussir le pari au Maroc et utiliser un peu cette plateforme, ce modèle pour aller l’exporter à ces contrées à partir d’une production locale ».
Quels sont ces pays dont vous parlez ?
S.Z : « Je parle ici du Sénégal, de la Côte d’Ivoire qui sont les premiers pays que l’on vise, des contacts aussi au Nigéria et puis après des visites comme le Ghana qui montre un potentiel. Donc les pays de l’Afrique de l’Ouest, francophones au départ ».
Aujourd’hui c’est l’aluminium qui est le roi dans le bâtiment au Maroc. Comment comptez-vous inverser cette tendance, dans un marché déjà occupé par l’aluminium ?
J.L : « D’abord, l’aluminium a sa place, nous ne visons pas son élimination. Nous souhaitons prendre part, une partie du marché et laisser l’aluminium là où il est. Le PVC vise à répondre à une demande particulière, vivre l’expérience d’être assis devant une fenêtre, dans un bureau, avec le soleil qui vous tombe dessus. A ce moment, vous vous demandez ce que vous faites là, dans une chaleur épouvantable. En effet, l’architecture aujourd’hui est parfois purement esthétique et on oublie alors qu’à l’intérieur il y a des femmes et des hommes et des enfants avec leurs modes de vie, leurs besoins de confort et de bien-être, qui peuvent parfois être amenés à mettre un casque ou des boules quies pour éviter les nuisances sonores, ou utiliser de la climatisation alors qu’ils peuvent simplement mettre en place de bonnes fenêtres. Et pour répondre à ça, il n’y a pas mieux que le PVC. Je pense qu’assez naturellement, et c’est ce que Sabry décrit comme étant essentiel ; c’est que cette production nationale est importante. Aucun acteur n’a réussi dans ce métier là sans être sur place. Nous avons fait ça partout : en Russie, en Amérique Latine, en Europe… Il faut être proche car nous avons besoin de produire sur place ».
S.Z : « Et puis il y a les spécificités du marché, la fenêtre française, la fenêtre allemande, la fenêtre espagnole n’est pas la même que la fenêtre marocaine. C’est là que notr« Et puis il y a les spécificités du marché, la fenêtre française, la fenêtre allemande, la fenêtre espagnole n’est pas la même que la fenêtre marocaine. C’est là que notre collaboration est importante car elle nous permet de comprendre un peu ce qu’attend le marché. On a été surpris de voir que le Maroc est représenté par 60% de coulissants, ce qui n’est pas le cas en Europe où on n’utilise pas beaucoup de coulissant, c’est ce qui a justifié le choix de l’éco-sol qui est très performant »
Interview réalisée par Fouad Akalay