Les géo-structures énergétiques, une énergie renouvelable sous nos pieds, telle est le thème de la conférence qui sera donnée le 8 octobre 2019 à Casablanca (Hôtel Hyatt regency) par Lyesse LALOUI, professeur – chaire mécanique des sols et directeur de la section génie civil à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne EPFL. Dans cet entretien exclusif il nous parle de cette technique d’avenir pourtant inusitée au Maroc : les géo-structures énergétiques.
Les géo-structures énergétiques, de quoi s’agit-il ?
« Le principe est assez-simple : on se sert des fondations d’une construction pour échanger de l’énergie avec le sol grâce à des échangeurs géothermiques. Toute construction possède des fondations en contact avec le sol, alors pourquoi ne pas les utiliser comme source d’énergie ?
Les premiers mètres de terrain sont sous l’influence de la température ambiante. Mais, au-delà de 5 mètres de profondeur, la température du sol reste constante tout au long de l’année. A Lausanne, par exemple, elle est de 13 degrés. Nous pouvons tirer profit de cette chaleur constante avec les géo-structures énergétiques. Nous insérons des tubes en plastique dans les fondations pendant la construction, avant de couler le béton. Puis nous faisons transiter de l’eau dans les tubes. Le fluide se réchauffe dans le sol. On crée en quelque sorte le radiateur du bâtiment. A l’inverse, en été, on peut assurer l’air conditionné pour rafraîchir l’édifice en injectant l’énergie dans le sol. Pour amplifier les valeurs de température, nous couplons le système à une pompe à chaleur. Toutes sortes de fondations peuvent être utilisées : celles des bâtiments, mais aussi, par exemple, les piles d’un pont, les parois enterrées des parkings ou les voûtes des tunnels routiers ou ferroviaires. On ne parle que de nouvelles constructions car il n’est pas encore possible d’équiper un bâtiment existant en géo-structure énergétique, pour des raisons de coûts. Les tubes doivent être posés au moment de la construction des fondations ».
Les géo-structures énergétiques couvrent-elles tous les besoins en énergie du bâtiment ?
« Alors c’est au cas par cas, certains projets sont couverts entièrement d’autres qu’à 60 ou 70%. Cela dépend du sol et des besoins des bâtiments. En règle générale, on couple les géo-structures énergétiques avec une pompe à chaleur, car cela permet d’avoir de meilleurs résultats et de plus hauts niveaux de températures. Avec une pompe à chaleur on peut tirer entre 50 et 100 W par mètre d’ouvrage. On peut également coupler l’installation avec des panneaux solaires pour stocker l’énergie solaire dans le sol. Bien entendu cette technique est valable autant que les fondations soient assez profondes. En Europe, les géo-structures énergétiques ne couvrent pas entièrement les besoins en énergie toute l’année et ce n’est pas le but de la technologie. Contrairement à l’énergie solaire par exemple, l’énergie géothermique est disponible en continu, toute l’année peu importe la saison ou l’heure de la journée. C’est à la fois un atout et un désavantage, cette technologie comme tous les systèmes géothermiques sont de facto moins réactifs et ont une certaine inertie. C’est pourquoi, en général le but n’est pas de couvrir tous les besoins car ce n’est pas viable, mais plutôt de la combiner avec d’autres énergies renouvelables comme le solaire. La technologie permet quand même à elle seule de réduire jusqu’à 80% les besoins en énergie d’un bâtiment ! ».
A quel prix ?
« L’énergie est gratuite et renouvelable puisqu’elle se trouve de manière naturelle dans le sol. Et toute construction nécessite de toute façon des fondations. On ne construit pas un système géothermique en soi, on ajoute des échangeurs aux fondations, ce qui est avantageux en termes de coût. Cette technique renchérit très peu le coût de la construction puisqu’au final il s’agit de quelques tubes en plastiques, de pompes et quelques éléments hydrauliques. Alors quitte à forer des fondations autant les équiper ! Il faudra tout de même compter les coûts d’une pompe à chaleur mais la technologie dans son ensemble est en moyenne amortie sur 5 ou 6 ans. La diffusion de la technologie permettra aussi d’accumuler les expériences nécessaires pour optimiser encore davantage les connaissances sur les géo-structure énergétiques. Et elle permettra de réduire les coûts, d’autant si les architectes, les ingénieurs et les constructeurs apprennent à la maîtriser ».
N’y-a-t-il pas de contraintes ou de précautions particulières ?
« En soi, la technologie et sa mise en place repose sur des concepts simples. Il faut du savoir -faire c’est certain, mais avec une bonne coordination et une bonne communication entre les corps de métiers sur le chantier, en général, cela ne pose pas de problèmes ou de contraintes particulières. Il faut tout de même agir avec précaution et s’assurer de certains aspects. Par exemple, le coulage du béton doit se faire de manière délicate pour ne pas endommager les tubes. Il faut maintenir les tubes en pression pour éviter qu’ils soient écrasés par la prise du béton, ou encore faire attention au moment du recépage pour ne pas endommager les tubes. Ces éléments peuvent rallonger légèrement le processus de mise en place des fondations. Mais à force d’expérience et de savoir-faire désormais certaines entreprises n’ont besoin que de 15 minutes supplémentaires pour faire un pieu énergétique ! ».
Facile d’installation mais quand est-il du dimensionnement ?
« Il est certain que coupler un rôle structurel et un rôle énergétique n’est pas sans incidence sur le dimensionnement, qu’il soit structurel ou géotechnique. L’innovation de cette technologie tient du fait qu’elle intègre plusieurs fonctions au sein d’un même produit. Avec les géo-structures énergétiques nous sommes vraiment à l’interface entre l’énergie, la géotechnique et la structure. Cela demande donc des compétences interdisciplinaires. Cependant la technologie est mature et nous la maîtrisons bien, il suffit d’avoir les outils et les connaissances nécessaires pour le dimensionnement. Nous développons cette technologie depuis plus de 20 ans à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), nous avons développé des outils de calculs, des tables de dimensionnement etc… nous formons même les futurs ingénieurs de l’EPFL à la technologie. En attendant, la spin-off GEOEG que j’ai co-fondé apporte ses compétences et expertises pour le développement de projets de géo-structures énergétiques des plus simples aux plus complexes ».
Quels potentiels pour le développement des géo-structures énergétiques au Maroc
« Les géo-structures énergétiques ont un véritable potentiel de développement au Maroc, pays dont les besoins en énergie sont variés et les climats différents. Ces structures peuvent être très efficaces avec une utilisation tout au long de l’année, pour faire du chauffage et du rafraichissement des bâtiments. Cette utilisation duale permet d’équilibrer le système et d’en augmenter ainsi la durée de vie. Au Maroc, les besoins de climatisation sont prépondérants, et les géo-structures énergétiques peuvent y répondre favorablement. De plus, le chauffage par cette source d’énergie permettra d’évacuer le surplus de chaleur injecté dans le sol et d’en maintenir la température. Même dans les zones arides, où les terrains peuvent être secs, ce qui diminue la conductivité thermique du terrain, nous avons développé des technologies basées sur la bio-cimentation pour créer des ponts thermiques entre les grains de sable et augmenter significativement le potentiel énergétique du terrain. Le Maroc, pionnier en Afrique en termes d’énergies renouvelables, offre des conditions idéales pour le développement des géo-structures énergétiques ».
Interview réalisée par Fouad AKALAY