Le 24 septembre 2021, au Canada, se sont clôturés les travaux du Forum mondial de l’économie circulaire. Cet évènement de grande envergure a permis aux éminents de ce monde de se pencher sur une problématique incontournable : l’économie circulaire. Bouchra Alaoui, architecte-urbaniste, diplômée de l’Ecole d’architecture de Toulouse et de Sciences Po Paris nous en fait une synthèse. Bouchra est également doctorante en urbanisme et enseignante à Sorbonne Université. Elle est également présidente de la Fondation internationale de l’économie circulaire Sud Sud.
Le Forum mondial de l’économie circulaire (FMEC) est un événement annuel qui présente les meilleures solutions circulaires au monde et rassemble des dirigeants d’entreprise, décideurs et experts du monde entier. C’est une initiative internationale de la Finlande et du Fonds finlandais d’innovation Sitra.
La corrélation entre changements climatiques et activité économique humaine est, aujourd’hui, une évidence reconnue. Dans ce cadre, scientifiques et organisations internationales incitent, de plus en plus, les gouvernements et acteurs économiques mondiaux à transiter vers un nouveau modèle économique plus durable.
L’ancien modèle basé sur la linéarité de la consommation – extraction, fabrication, déchet – est remis en cause pour privilégier un modèle circulaire basé sur un format de recyclage, réparation et réduction des déchets. L’objectif à terme étant de découpler la hausse de la consommation des ressources et la croissance du PIB. L’émergence de ce concept de circularité implique donc une nouvelle évaluation de la croissance et une identification de nouveaux business model.
Loin de n’être qu’un effet de mode, l’économie circulaire est en train de s’imposer à travers le monde, comme un nouveau modèle de production et d’utilisation. La notion d’économie circulaire a été introduite dans le droit français par la loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015. La Commission européenne a confirmé cet objectif dans son « Paquet économie circulaire » présenté le 2 décembre 2015.
Le bâtiment et la construction, l’un des plus mauvais élèves en matière de réduction d’empreinte carbone, est concerné à double titre. D’abord par son model linéaire de consommation qui fait de lui le secteur le plus pollueur, d’autre part par l’important potentiel de circularité encore inexploité. Pour rappel, le bâtiment produit, chaque année, 46 millions de tonnes de déchets. Le secteur, tout en étant un important pourvoyeur d’emploi, est également un très grand consommateur de ressources, et un des gros contributeurs aux émissions de gaz à effet de serre. Alors que le bâtiment fait face à une hausse des prix sur les matériaux, et des difficultés d’approvisionnement en matières premières, l’économie circulaire apparaît comme une solution adaptée. D’ailleurs l’ONU Environnement en s’appuyant sur un récent rapport rédigé avec l’Alliance mondiale pour les bâtiments et la construction et l’Agence internationale de l’énergie, confirme que l’économie circulaire serait la voie salutaire pour que le secteur devient écoresponsable et même avoir un impact environnemental et sociétal positif.
Mais comment faire concrètement ? La Fondation Bâtiment-Énergie s’est penchée sur la question et vient de dévoiler les conclusions des travaux de recherche sur l’économie circulaire dans le bâtiment menés depuis 2 ans. Ces travaux confirment que l’économie circulaire implique une transformation profonde et un changement de paradigme du secteur du bâtiment. Ils proposent 5 pistes concrètes pour passer de la théorie à la pratique.
- Le développement des pratiques de réemploi des matériaux qui permet de diminuer les extractions de ressources, de limiter la production de déchets et de réduire les émissions de gaz à effet de serre associées aux activités du bâtiment, tout en contribuant à la création d’emploi. L’exemple le plus parlant est le pont Darwin, premier ouvrage fait de verre recyclé : incorporer le verre postindustriel dans sa structure de béton, est une première mondiale. Cette première mondiale lui permet de rafler un prix au passage, soit le Prix d’excellence « Infrastructures 2021 » de l’American Concrete Institute (ACI) – volet Québec, en plus d’une nomination dans la catégorie Honoris Genius projet d’ingénierie de l’Ordre des ingénieurs du Québec. La poudre de verre s’obtient par micronisation, un processus par lequel le verre est broyé finement jusqu’à l’obtention d’une poudre blanche extrêmement fine. Le diamètre d’une particule est de l’ordre de quelques microns seulement, soit mille fois plus petit qu’un grain de sable. Le résidu industriel ainsi obtenu se substitue à une partie du ciment portland. Pour le pont Darwin, la poudre de verre constitue 10 pour cent (%) du ciment. Dans des infrastructures de voirie de New York, elle atteint une proportion allant jusqu’à 40 %.
- L’approvisionnement en ressources locales soit acheter local et consommer local. La réduction des distances parcourues par les matériaux peut contribuer à améliorer les performances environnementales de la construction et à activer les ressources du territoire. Elle permet également la création de filiales de bâtiment propre au pays et participe à la création de l’emploi. La question centrale reste le coût. Comment proposer des matériaux à prix attractif et concurrentiel aux géants de production mondiale notamment chinois. L’équation n’est pas encore résolue. Mais la Covid 19 a confirmé l’impériosité de s’y pencher très sérieusement. Elle a démontré la nécessité de l’indépendance et l’autosuffisance et dévoilé les limites de la mondialisation. Singapour dépendant à 90% des exportations, et touché à plein fouet par la Covid, est en train de faire un revirement à 180° de sa politique en tendant vers l’autonomie et la valorisation et l’encouragement de la production locale.
- L’allongement de la durée de vie de la matière est un levier de réduction d’émissions et un levier de conservation des ressources. La recherche a porté́ sur les méthodes de calcul qui permettent d’apprécier au mieux les impacts environnementaux associés à l’allongement de la durée de vie, à l’échelle ouvrage par la rénovation, à l’échelle produit par le réemploi. Il est question également de parer à l’obsolescence programmée qui est moins évidente dans le bâtiment mais qui existe quand même. Il s’agit de construire vite au meilleur cout sans une grande réflexion sur l’usage et les besoins. Résultat : une durée de vie des bâtiments modernes faible qui fera bien rire les bâtisseurs des cathédrales et des pyramides. Aujourd’hui la R&D se penche sur la question : comment faire aussi bien que nos alleux tout en répondant au consumérisme
- Agir sur la réversibilité́ et la transformation d’usage des bâtiments permet d’éviter des flux considérables de matières. Changer la destination d’un bâtiment, c’est éviter à la fois la destruction du bâtiment dont l’usage n’est plus souhaité, mais aussi éviter la consommation de matières nécessaires à la construction du bâtiment dont l’usage est désiré́. En pratique, il ne s’agit pas seulement de pouvoir démonter tout ou partie d’un bâtiment, mais de prévoir plusieurs scénarios d’usage sur un même bâtiment, anticipant l’application de différentes normes de circulation, de sécurité́ ou d’accès à la lumière. Comment caractériser les potentiels de réversibilité́ ? Comment les intégrer aux différentes étapes de conception. Le Canada est précurseur dans le domaine et a créé de nombreux tiers lieu qui ont permis la réutilisation de locaux sous exploités ou abandonnés et leur a affecté un nouvel usage. Un autre exemple parlant est le projet d’un complexe de 68 logements des architectes Elisabeth Naud et Luc Poux. La grande particularité du projet est sa dimension modulable et adaptable. Anticipant la densification prochaine de la ville, le projet sera capable de supporter une surélévation de 5 à 6 étages. Plus radical, le projet « la maison qui déménage « proposé par la PME Univers et Conseils et l’association Habitat et Humanisme ; Il s’agit d’une maison en bois entièrement démontable qui vous suit partout sans laisser de trace. Facile à monter et à démonter, elle ne laissera aucun déchet après démontage. La conception pour la démontabilité s’applique à tout type de bâtiment, et fait partie d’une démarche globale, dont les ambitions et objectifs doivent être définis le plus en amont possible (dès la phase de programmation) afin de cibler les axes de travaux de conception. C’est une démarche technique (conception, choix de solutions, etc.) mais aussi organisationnelle (collaborations avec la chaine d’acteurs en phase de conception, usage du BIM, maitrise des données).
La recherche sur la capitalisation de la donnée montre l’ampleur du défi que représente cette « architecture de l’information ». En économie circulaire, un matériau est destiné́ à avoir plusieurs vies, à être employé́ dans plusieurs bâtiments, sous diverses formes, pour des usages multiples, puis à être recyclé. Chaque changement de phase de la vie du matériau est conditionné par les informations qui seront disponibles, qualifiant ses dimensions, sa nature, sa résistance, ses propriétés mécaniques etc. Ces informations peuvent être perdues, ce qui est quasi systématique dans le cas des matériaux qui constituent les bâtiments les plus anciens.
A l’instar du Canada, de la Belgique ou de l’Allemagne, les pays occidentaux ont amorcé un pas de géant dans l’économie circulaire, investissant des sommes très importantes dans la R&D. Les entreprises embrayent le pas, notamment Bouygues immobilier à travers sa filiale Colas et qui crée la première route solaire grâce à un revêtement routier unique qui permet de produire de l’électricité en captant l’énergie solaire. Ou encore l’entreprise Poullard qui offre un béton recyclé et recyclable. L’économie circulaire revient sur toutes les lèvres et fait partie des grands débats. Qu’en est-il donc en Afrique et au Maroc en particulier ?
Les pays membres de l’Alliance africaine pour l’économie circulaire ont signé officiellement la Charte de la corporation continentale le jeudi 14 novembre 2019 à Durban en Afrique du Sud. L’alliance est menée par trois pays locomotive l’Afrique du Sud, le Rwanda et le Nigeria. Le Maroc, qui est un précurseur sur le continent africain dans le développement durable, est le grand absent de cette importante organisation.
Pourtant pour le Maroc, l’économie circulaire est une double opportunité, d’abord environnementale, mais surtout économique. Le passage vers une économie circulaire implique, en effet, des réallocations sectorielles d’emploi entre les activités intensives en matières et celles qui contribuent à les économiser. Sont en première ligne les « éco-activités », qui participent directement à la préservation de l’environnement, mais aussi de nombreux secteurs comme la location, la réparation et le réemploi ou la réutilisation, qui allongent la durée de vie des biens et réduisent la production de déchets. Portée par la révolution numérique, une telle mutation pourrait s’accompagner d’une modification radicale des modèles d’affaires économiques.
Le volume d’emploi de cette forme d’économie, sa dynamique, sa qualité et les revenus générés qui viendront se réemployer dans d’autres activités méritent, à ce titre, d’être mieux identifiés : ils pourraient servir d’indicateur d’une évolution vers une économie plus circulaire.
Il devient plus qu’urgent au Maroc d’adopter l’économie circulaire comme thématique de recherche via un indicateur nouveau, celui de l’emploi. Même si le périmètre de l’économie circulaire n’est pas encore stabilisé, il est utile de chercher à mesurer le contenu en emploi de ces activités, de façon à apprécier l’ampleur de la transformation à l’œuvre et d’identifier les opportunités qui s’offriraient pour le pays.
Ces recherches, selon ce nouveau volet, permettraient au Maroc d’insuffler une nouvelle dynamique de réflexion au niveau africain, qui serait mutuellement profitable aussi bien pour l’économie que pour l’environnement du continent.
Rédaction : Bouchra Alaoui