Le premier atelier métropolitain à destination des cadres de l’aménagement du pourtour méditerranéen Tanger-Tétouan a été organisé au cours de cette année par l’AVITEM, l’AFD, la GIZ, la Banque Mondiale – CMI sur l’aire métropolitaine de Tanger-Tétouan. Ce programme, qui s’est déroulé à Tanger du 6 au 11 mai, a avancé des propositions lors de chaque journée de la formation.
Le territoire de Tanger-Tétouan-Al Hoceima et de l’Andalousie est l’un des espaces stratégiques du monde, au croisement de deux mers et au carrefour de deux continents, entre routes continentales nord-sud et routes maritimes est-ouest. Territoire de marges politiques et géographiques – confins de l’Afrique et du Maroc, sud de l’Europe, extrême périphérie du Royaume Uni, enclaves espagnoles – il reprend une place centrale dans des processus de mondialisation qui évoluent aussi très rapidement .Conscient de cette opportunité de renforcement de l’internationalisation du Maroc, le Roi Mohammed VI investit cette région comme hub entre Europe et Afrique en engageant un projet ambitieux et audacieux de réalisation d’un port en eau profonde.
Dès lors, le dynamisme de l’aire métropolitaine est marqué par l’ouverture de grands chantiers structurants : la plateforme logistico-industrialo-portuaire de Tanger Med avec son réseau de zones franches organisé à l’échelle du grand territoire ; les infrastructures de transports et notamment la LGV, qui relie la capitale Marocaine à Tanger, porte de l’Europe ; les opérations urbaines majeures comme le réaménagement du front de mer de Tanger ou la cité industrielle Mohammed VI Tanger-Tech ; sans oublier le développement des écoles d’enseignement supérieur et des universités. Seconde région du Maroc en termes économiques, Tanger-Tétouan-Al Hoceima s’impose comme un espace d’émigration nationale et internationale.
Cette économie off-shore joue notamment sur les avantages comparatifs avec les voisins frontaliers – main-d’œuvre qualifiée et abordable, disponibilité foncière, défiscalisation, avantages à l’accueil d’investissements étrangers – pour développer une attractivité internationale. Un des défis est dès lors, d’en faire un levier à un développement endogène qui permette de renforcer la cohésion sociale et territoriale de cet espace. Cet enjeu politique de premier ordre passe naturellement par une mobilisation des différents acteurs en présence : l’Etat, les collectivités territoriales et tout particulièrement la Région et les acteurs de la société civile.
Tanger-Tétouan-Al Hoceïma, le défi d’un projet inter-régional à une échelle inter-continentale
La politique d’aménagement du territoire marocain s’organise depuis quelques années autour d’une double approche : régionalisation avancée et métropolisation. Après avoir placé l’accent sur le développement d’une métropole mondiale à Casablanca, la politique métropolitaine du pays s’articule aujourd’hui autour de quelques bi-pôles : Rabat-Casablanca, Fès-Meknès, Tanger-Tétouan, ce dernier jouant le trait d’union avec l’Europe. Toutefois, lors du séminaire de l’Institut Méditerranéen des Hautes Études Urbaines et Territoriales , les exposés des différents intervenants ont souligné que la notion du bi-pôle Tanger-Tétouan était aujourd’hui interpellé par deux dynamiques : – celle qui ne manquera pas d’être générée par la nouvelle ligne à grande classe qui va significativement rapprocher Tanger de Rabat et celle d’une région urbaine qui comprendrait certains centres urbains –ville nouvelle de Chrafate, Al Hoceïma – , pôles économiques – réseau des zones franches – pour atteindre 3.6 millions d’habitants en 2014, soit environ 10 % de la population marocaine.
Cette première étape de transformation pourrait en préfigurer une seconde au plan international, celle de la bi-région Tanger-Tétouan-Al Hoceima et Andalousie autour d’une ambition commune de projet transfrontalier et intercontinental. Dès lors, l’exercice territorial se complexifie pour formaliser les conditions d’un développement conjoint, entre grands projets économiques de dimension euro-méditerranéenne et projets de proximité garant d’un développement cohérent du territoire. Sans prétendre à l’exhaustivité, le rapprochement portuaire et la réduction des inégalités semblent être deux conditions majeures de cette perspective de région transfrontalière.
Les deux régions bénéficient d’un positionnement stratégique unique, sur le détroit de Gibraltar qui capte 20% du trafic mondial – deuxième point de passage du commerce mondial – et à la jonction des grandes routes maritimes entre l’Europe et l’Afrique. Deux ports se font face : Algésiras et Tanger-Med. Le Port de Tanger-Med, inauguré en 2007et sa plate-forme industrialo-logistique pourrait être le fer de lance de la stratégie d’internationalisation du côté marocain. Grâce à une politique de haut niveau de services portuaires- certification éco-port, production d’énergies propres pour l’alimentation des navires – Tanger Med a déjà atteint sa capacité maximale, hissant le Maroc du 83ème au 16ème rang du classement des connectivités maritimes et vise le top 10 d’ici 2025 avec l’extension Tanger-Med 2. Un montage économique original assure un niveau d’activités élevé et réduit les risques : une agence spéciale TMSA pour porter ce projet, à 100% de capitaux publics ; des filiales privées pour l’ingénierie et les télécoms ; des contrats de concession à des opérateurs de renommée mondiale parmi lesquels les plus grands armateurs (Maersk, CMA CGM, MSC) ainsi que des leaders portuaires (APM Terminals, Eurogate). La plateforme industrielle sur 16 millions de m², adossée au complexe portuaire, est labellisée zone franche, et bénéficie d’avantages douaniers. La dynamique de création d’emplois, d’entreprises et de valeurs est à l’œuvre !
Ce success-story amplifié par la connexion à un réseau multimodal peut sûrement être la base d’une politique de coopération intercontinentale, agrégeant les flux vers l’Europe avec ceux de l’Afrique. Le renforcement des complémentarités entre le Port d’Algésiras et celui de Tanger-Med constitue sûrement une des clés stratégiques pour le positionnement des ports méditerranéens au plan mondial.
Un autre axe de cette politique interrégionale pourrait être la réduction des inégalités nord-sud. L’écart de développement entre ces deux rives est un écart frappant. Alors que 14 kilomètres seulement séparent le Maroc de l’Espagne, en terme de développement, le Maroc est classé 123ème mondial et l’Espagne 27ème . Il est donc dans l’intérêt de tous d’engager un effort commun pour essayer de réduire ces disparités et encadrer ainsi au mieux les flux migratoires.
Trois axes de coopération pour une meilleure intégration transfrontalière peuvent être posés à cette étape :
• Le co-développement qui consiste à jouer les complémentarités pour organiser et mettre sur le marché international une offre économique et sociale qui joue les avantages comparatifs mais également la multi -culturalité et le multilinguisme. A titre d’exemple, il est aisé de comprendre les opportunités qu’ouvrirait ce type de stratégie dans le domaine touristique ;
• Les effets d’échelles qui permettraient de mutualiser et de construire des actions communes comme une présence conjointe aux salons internationaux ou l‘organisation d’une économie circulaire ;
• Des solutions territoriales à la crise migratoire. La région de Tanger n’est pas uniquement une zone de transit mais également une zone d’accueil : un grand nombre de migrants ont décidé de rester. Ce peut être une région test pour réussir l’accueil des migrants internationaux, le retour de la diaspora – le nord est la région du Maroc qui compte le plus de marocains résidant à l’étranger-ou encore une gestion vertueuse des flux migratoires qui se font du sud vers le nord de la Méditerranée.
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n°164 – Août/Septembre 2018