Depuis plusieurs années déjà, de nombreux travaux sur la redéfinition des rues voient le jour face aux crises climatiques et environnementales. C’est le cas du guide Global Street Design, réalisé en 2016 par la Global Designing Cities Initiative, qui propose une nouvelle conception de la ville.
Cet article s’inscrit dans le cadre du projet La Rue Commune, qui travaille à la production d’un guide pour mieux accompagner citoyens et acteurs de l’aménagement des rues ordinaires en France.
La « rue », de quoi parle-t-on ?
En 2050, près de 3⁄4 de la population globale sur terre résidera en ville. Les espaces urbains devront donc être en mesure de subvenir aux besoins de ces habitants et de leur assurer une bonne qualité de vie, tout en répondant aux impératifs de la transition écologique. Pour le projet La Rue Commune, la rue, et notamment la rue intermédiaire qui n’est ni un grand axe de circulation, ni une ruelle, apparaît comme un levier essentiel pour transformer les villes. En effet, l’aménagement de ces rues a un impact indéniable sur la qualité de vie, la santé des citadins, la protection de l’environnement ou encore les services proposés en ville.
Dans une interview donnée dans le cadre de La Rue Commune, Cécile Diguet, directrice du département Urbanisme, Aménagement et Territoires de l’Institut Paris Région, pose la définition suivante : « la rue se compose d’une multiplicité d’usages. Bien souvent, les projets de rue ne prennent en compte que les habitants, les riverains. Or, la rue comprend de nombreux autres usagers : les commerçants, les personnes qui développent des activités diverses en rez-de-chaussée, les flâneuses, les personnes en situation de marginalité, etc. […] En plus de cette diversité des usages, la rue articule plusieurs types d’espaces : la chaussée, les trottoirs, les rez-de-chaussée, les façades des bâtiments, les sous-sols, etc. »
Une définition partagée par le guide Global Street Design, qui définit les rues comme des « espaces multidimensionnels composés de nombreuses surfaces et structures. » Déplorant que les rues soient aujourd’hui encore trop souvent considérées comme des surfaces en deux dimensions, dont la fonction principale est la circulation automobile, le guide recommande au contraire de développer des approches qui intègrent tous ces éléments à la fois. « Les rues forment le plus grand réseau continu d’espaces publics des villes. Il y a un vrai défi à repenser la conception de nos rues » témoigne Fabrizio Prati, Directeur de la conception de la Global Designing Cities Initiative. « Jusqu’ici, nous les aménagions uniquement pour répondre à des enjeux de transport et de mobilité. Or, les rues sont bien plus que cet enjeu. Elles peuvent nous aider à être plus résilients, à lutter contre le changement climatique, à prendre en main les enjeux de santé publique comme la sécurité routière, la pollution de l’air ou encore les maladies chroniques, à proposer des espaces pour s’asseoir, se reposer, se détendre, jouer, faire du sport, effectuer des achats, etc. »
Dans cette même interview, Sylvain Grisot, urbaniste et fondateur de Dixit, insiste de son côté sur les opportunités d’échanges et de dialogue qu’offrent la rue : « la rue fait partie d’un réseau connecté, elle s’inscrit dans un territoire plus grand […]. La rue est un espace stratégique pour entretenir une conversation qui concerne l’ensemble des espaces urbains : comment se partager la rue, quelle place pour les différents usagers, quels sont les objets urbains présents, etc. ? »
Tout l’objectif de La Rue Commune est de rendre les villes plus durables et plus désirables en transformant les rues ordinaires en « rues communes ». Ce changement de paradigme doit permettre de mieux prendre en compte les usages et besoins de chacun, les attentes sur la qualité de vie, ainsi que les enjeux liés au réchauffement climatique ou encore à l’érosion de la biodiversité.
Comment transformer les rues ? L’exemple de la rue Fort, à Auckland (Nouvelle-Zélande)
À vocation résidentielle et commerciale, la rue Fort comprenait à l’origine une voie de circulation centrale, bordée de chaque côté par des places de stationnement, ainsi que des trottoirs. Cependant, la ville a souhaité réaménager cet espace afin de mieux l’intégrer dans le réseau de rue aux alentours, de valoriser le déplacement piéton, de renforcer les activités commerciales et de garantir une bonne qualité de vie à tous les usagers.
Crédits photo : Global Street Design Guide – Global Designing Cities Initiative
Repenser la hiérarchie des usages
Le guide Global Street Design conseille de partir de la mobilité pour repenser les villes. Cela permet de poser la question des usages, qui dépasse le simple enjeu de la mobilité. Le document propose ainsi de changer la hiérarchie des routes, pour en finir avec le tout automobile : les piétons doivent être prioritaires, puis les vélos et les transports en commun, ensuite viennent les véhicules de déplacement professionnels et enfin les véhicules individuels motorisés (voir schéma ci-dessous). Le guide insiste également sur l’importance d’instaurer de la multimodalité dans les rues quand cela est possible, afin de fluidifier les déplacements, d’augmenter les capacités de circulation en nombre de personnes et de répondre aux différents besoins des usagers de la rue. « Parfois, il n’est pas possible d’avoir tous les usages dans une même rue, précise Fabrizio Prati, il faut faire des choix. »
Dans le cas de la rue Fort, les piétons sont à présent prioritaires sur tout l’espace. La ville a enlevé toutes les démarcations existantes entre ces derniers et les véhicules (comme les délimitations des trottoirs) ainsi que les places de parking. Les voitures et autres véhicules peuvent encore circuler, mais sur un espace beaucoup moins important et partagé avec les autres usagers. De plus, leur présence est limitée dans le temps : Auckland a mis en place des temps de chargement restreints. Du mobilier (bancs, terrasses, etc.), des équipements de protection contre le soleil et de la végétation ont également été ajoutés pour répondre aux besoins des usagers, pour inciter les piétons à s’approprier la rue et pour la rendre plus résiliente.
L’opération est un véritable succès ! Grâce à cet aménagement, le volume de voitures a diminué de 25% tandis que celui des piétons a plus que doublé (+54%). Ces derniers déclarent d’ailleurs se sentir plus en sécurité. La transformation de la rue a également eu un impact positif pour les commerçants et les espaces d’activité : les dépenses des consommateurs y ont augmenté de 47%.
Mettre tous les acteurs autour de la table
La participation au projet des différents acteurs concernés est un des trois facteurs de succès identifiés lors du bilan du projet, aux côtés du management et de l’évaluation de l’opération, et le test de différents aménagements. Dans ce cas, le projet a réuni des acteurs publics, privés, des associations locales, des concepteurs et des ingénieurs.
Fabrizio Prati insiste sur l’importance de cette co-construction. Selon lui, les projets d’aménagements font face à deux obstacles principaux aujourd’hui :
- Un défi technique, lié aux habitudes des aménageurs. « Nous devons changer les façons de faire des concepteurs (ingénieurs, urbanistes, etc.). Cela passe par de la sensibilisation. Nous devons permettre aux élus et aux professionnels du secteur de prendre conscience des enjeux des rues. »
- Un défi d’inclusion. « Il est important d’impliquer tous les usagers dans la démarche, d’aller demander aux personnes quels sont leurs besoins, comment ils se sentent dans telle ou telle rue. Or, aujourd’hui encore, l’approche des professionnels de l’aménagement est très descendante. L’urbanisme tactique [*] peut être un bon outil pour débloquer les choses. »
Cette approche des usages et de la co-construction est partagée par La Rue Commune, qui insiste particulièrement sur les enjeux d’inclusivité et d’accessibilité à travers la notion de « commun ». Ce concept défend en effet un nouveau mode de gouvernance des rues, qui propose une gestion de tous par tous, dans lequel chaque usager peut s’impliquer à son niveau et ainsi se réapproprier la ville.
Article publié sur Construction21 France
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