Le projet d’amendement de passation des marchés publics ou ce qu’on appelait avant la répartition équitable de la commande publique, est considéré comme étant un dossier à la fois crucial et sensible. Il traine dans les coulisses du conseil national de l’ordre des architectes CNOA depuis plus d’une vingtaine d’années*. Quelles sont les premières initiatives d’amendement du texte? Quels sont les principaux griefs qu’on lui fait ? Qu’en est-il aujourd’hui de ce projet et quel est son état d’avancement ? Telles sont les principales questions de fonds abordées dans notre enquête.
De manière générale, la commande publique couvre l’ensemble des marchés publics attribués par les services publics (Etat, établissements et entreprises publics et collectivités locales), pour acquérir des biens, des services et des travaux.
Avant l’instauration des principes fondamentaux de la passation des marchés publics d’architecture au Maroc, trois méthodes prévalaient au sein des agences d’architecture pour l’obtention des projets : le clientélisme, les passe-droits et la corruption. Très souvent cela se traduisait par une composition savante des équipes chargées des projets. Cela consistait à avoir un architecte « pistonné », un deuxième architecte qui peinait à la tâche pour assurer la production du projet, et un troisième architecte qui servait à rétribuer en interne en redistribuant une part des honoraires vers « l’encadrement administratif » des dits projets. Les architectes non introduits et non initiés se contentaient des miettes laissées par les autres ainsi que d’une commande privée minée par le monopole mafieux de la signature.
Or, le18 janvier 2006, lors de la journée nationale de l’architecte, le souverain a adressé à ces derniers et à leurs partenaires du secteur de la construction un message clair : « Nous avons accordé à ce secteur une place de choix dans les politiques publiques ». Il était, dès lors, devenu important de mieux réglementer le mode de passation des marchés publics d’architecture afin de relever le niveau de prestation et donc la qualité du cadre bâti.
Ainsi, le Décret de Passation des Marchés Publics (DPMP) qui répond à l’appel royal avait pour principal objectif de bien servir l’intérêt général. Ce dernier devait être la base essentielle de l’exercice de l’architecture, et également le fil conducteur de toute bonne gouvernance.
Dans ce sens, l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics sont deux critères fondamentaux qui ont motivé la mise en place par l’Etat du décret de passation des marchés publics pour une mise en concurrence objective et concluante.
Or la« mise en concurrence objective et concluante» pour assurer l’efficacité de la commande publique, la bonne utilisation des deniers publics dans l’objectif de bien servir l’intérêt général en établissant les principes de la bonne gouvernance et garantissant des réalisations de qualité, s’est faite sur le dos des architectes en bafouant des principes même du décret : iniquité des architectes devant l’accès à la commande publique. La mise à mort de plusieurs agences pour un choix entaché de combines, de clientélisme voir de corruption quasiment à chaque fois qu’un marché est attribué.
La passation des marchés publics était mue par des principes généraux formulés comme suit :
• Liberté d’accès à la commande publique ;
• Egalité de traitement des concurrents ;
• Garantie des droits des concurrents ;
• Transparence dans les choix du maître d’ouvrage ;
• Respect de l’environnement et des objectifs du développement durable.
La promulgation du décret de passation des marchés publics a été saluée par le corps professionnel des architectes qui a applaudit son avènement, malgré les nombreuses défaillances, dénoncées avant et constatées depuis sa mise en application au mois de janvier 2014.
En effet, avant même son entrée en vigueur, une réflexion sur les futurs amendements avait déjà été lancée et une commission, a été créée en février 2013. Elle regroupait plusieurs architectes membres élus et non élus des différents conseils régionaux et du conseil national. Les membres actifs de cette commission étaient : Mohammed El Anbassi (président de la commission), Mohammed Ouazzani( rapporteur de la commission) , Chakib Benabdellah, Abdelhak Brahimi, Rachid Haouch et Amal Loghzal.
Ces membres dévoués du CNOA et CROA dotés d’un esprit de militantisme que la profession leur reconnait unanimement, suivaient de manière continue le déroulement du dossier encadré par le Ministère des finances, et avec comme objectif principal d’analyser d’une manière profonde le texte actuel, sa confrontation avec la réalité du terrain et la proposition des axes de la réforme.
Ainsi, le passage par le décret des marchés publics pour l’attribution des projets d’architecture a tourné la page du gré à gré qui a causé bien des dégâts dans la profession et dans la qualité de réalisation des ouvrages publics, laissant sur le carreau bon nombre d’architectes talentueux, incapables d’accéder à la commande publique bien « verrouillée ».
Deux modes d’attribution furent instaurés : la consultation et les concours.
Mais, dès la première année d’application du décret une évaluation du fonctionnement de celui-ci a eu lieu. L’analyse sommaire d’un échantillon de 818 appels à la concurrence (consultations et concours), avait révélé plusieurs défaillances dans le contenu et l’application du décret, et notamment dans ses mesures de transparence.
Toutes ces défaillances constatées compromettaient l’esprit et les principes généraux qui ont conduits à la mise en place du DPMP. Suite à cette constatation, le conseil national a d’abord envoyé un mémorandum en mai 2015 à la Trésorerie Générale du Royaume (TGR), puis a tenu plusieurs réunions dont celle concertée au siège du secrétariat général du gouvernement avec les membres de la commission nationale de la commande publique. L’ensemble des remarques a été compilé, en faisant appel aux élus des régions, pour finalement produire un projet d’amendement qui a été déposé à la (TGR) en mai 2016.
Au cours de l’année 2017, une nouvelle équipe, présidée par Azdine Nekmouche, a pris les rennes du Conseil national des architectes. Dès sa mise en place elle a promis d’accélérer les réformes pour sauver la profession d’une situation dramatique dénoncée par tous et qui a conduit à la paupérisation de leur métier. Dès lors, la commission en charge de ce dossier a mis les bouchées doubles : réunions entre les instances, avec la TGR etc.
Ce travail de longue haleine a fini par payer puisqu’un mémorandum a été rédigé en septembre de la même année, reprenant les amendements proposés et en introduisant de nouveaux.
Pourtant, une mesure proposée va susciter un vif débat entre architectes : l’instauration de nouveaux modes de passation basés sur des listes tournantes et des pré-sélections pour limiter le nombre des participants et les efforts des architectes contraints de faire, sans aucune rétribution, de nombreux avant – projets qui ne donneront lieu à aucune suite. Une question non encore tranchée à l’heure actuelle.
Caractérisée par de vifs débats, une assemblée générale s’est tenue le 23 novembre 2017 à Marrakech. Elle n’a abouti à aucune décision.
Durant les mois qui suivirent, de multiples rencontres ont été organisées entre le Conseil national de l’ordre des architectes et les Conseils régionaux pour aboutir, en vain, à aucun consensus. Le Conseil national a fini par adresser un courrier aux conseils régionaux leur enjoignant de recueillir les avis des architectes de leurs régions et de les compiler. C’était sans compter sur la paresse et le manque de réactivité de la part des Hommes de l’art dont une très petite minorité a produit des réflexions.
De nouveau, la commission a été déçue des résultats.
L’assemblée générale nationale qui a eu lieu à Casablanca en février 2012 a créée et confiée à la commission d’étude et d’amendement du DPMP en vue de lui soumettre des propositions. Ces propositions ne pouvant être validé au sein de la commission (qui part moment s’est retrouvé réduite à 4 ou 5 membres) celle-ci a fait appel aux Conseils régionaux pour assurer la diffusion des travaux de la commission et un questionnaire (afin de dégager les tendances voulus par les architectes). Le résultat de ces consultations-sondages n’a pas été concluant : moins d’une centaine de réponses sur plus de 4000 architectes. Pour dégager un avis plus représentatif le Conseil a organisé des débats au sein des réunions CNOA- CROA qui, malheureusement, non pas permit d’aboutir à un consensus. « Il serait malheureux, après tant de sacrifices et de travail, de refaire la même erreur que celle commise par le conseil qui a adopté l’actuel décret DPMP : décider en interne d’une problématique qui touche l’ensemble des architectes » a souligné, interloqué, Mohammed Ouazzani.
Par la suite deux réunions ont été organisées au courant du mois de juillet entre le national et les conseils régionaux pour trancher une fois pour toutes afin de produire un document unifié. Enfin la décision a été prise par l’Ordre National des Architectes de remettre à la commission nationale de la commande publique (ex. commission nationale des marchés publics), la proposition d’amendement dans sa globalité à l’exception d’une partie des modes de passation (premier et deuxième seuil), afin de permettre de négocier et d’arrêter définitivement les amendements du décret de passation des marchés publics. Le reste de la proposition sera débattu et arrêté lors des prochaines assises de la profession qui se tiendront courant septembre 2018.
La réforme actuellement en cours du DPMP constituera certainement une grande avancée dans le processus de modernisation des procédures et de renforcement de la transparence et de l’efficacité dans la passation, le contrôle et la gestion de la commande publique. Pour cela il faudrait que les architectes « se bougent » ce qui ne semble pas être le cas. Ils se contentent d’applaudir de loin, quand ce n’est pas critiquer, une petite minorité de leurs confrères qui donnent de leurs temps au détriment, souvent, de leurs projets personnels.
* Voir Document réalisé par le conseil sous la présidence de M. BELKHADIR, intitulé“ Proposition de l’ordre des architectes pour un projet de décret fixant les modes de mise de concurrence, les missions et les conditions de rémunération des prestations des architectes pour les réalisations de l’état.“ publié dans l’annuaire officiel des architectes du Maroc-2001. Par le conseil national de l’ordre des architectes.
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n°164 – Août/Septembre 2018