Les réalisations en matière d’architecture et d’urbanisme prenant en compte les personnes à mobilité réduite (PMR) au Maroc sont quasi-inexistantes. Néanmoins, certaines initiatives annoncent un changement de paradigme dans la façon de concevoir l’occupation de l’espace et la diversité de ses usagers afin de faciliter la mobilité des handicapés.
Les années 2000 ont connu des initiatives individuelles et privées qui, lentement mais sûrement, amèneront l’environnement physique des villes marocaines à être praticable et agréable pour tous.
La prise de conscience des professionnels actuels de la nécessité de l’accessibilité et leur formation, les avancées vers la mise en place de normes PMR et les diagnostics urbains et de bâtiments sont autant d’étapes préalables à l’émergence d’espaces accessibles. Bien que l’architecture et l’urbanisme prenant en compte les personnes à mobilité réduite soient à un stade embryonnaire, quelques réalisations méritent d’être citées: le Morocco Mall, le siège de l’ICARDA à Rabat et le centre Lalla Hasna. Il est à noter que les espaces où un effort à été fourni en matière d’accessibilité sont des lieux essentiellement privés ou destinés à la consommation. Or, en l’absence d’un réel cadre normatif, certains dispositifs techniques censés être facilitateurs pour les PMR se révèlent être des obstacles. Le cas le plus flagrant est celui des rampes dont la pente trop raide est dangereuse même pour une personne en pleine forme.
De même, les espaces publics où l’on constate des tentatives d’accessibilité (notamment les trottoirs environnant les tramways de Rabat et de Casablanca) sont souvent très mal exécutés. A titre d’exemple, les bandes podotactiles (censées guider les personnes non et malvoyantes et/ou prévenir d’un obstacle) mal placées sont révélatrices d’un manque de compréhension de leur rôle par les différents acteurs sur le chantier. Un projet intéressant en matière de réflexion urbanistique est la place Moulay Hassan (mieux connue sous le nom de place Piétri) : la rampe d’accessibilité se fond dans les escaliers. Très souvent, les accessibilités sont perçues comme des éléments techniques laids, frappés du macaron bleu sur fond blanc d’une personne en chaise roulante. En cela, la conception des escaliers-rampes de la place Piétri est une preuve en béton que l’on peut jouer avec l’accessibilité pour en faire un élément à la fois banal et sublimant le paysage urbain. Encore une fois, il est à déplorer le fait que cette rampe ne soit pas aux normes, car elle ne dispose pas de chasse-roues et sa pente est trop raide (ce qui engendre des risques de chutes graves). Un contre-exemple de rampe harmonieuse et bien exécutée serait celle de l’ICARDA. Ce que l’on ne doit pas perdre de vue est que la mobilité est un phénomène réticulaire.
L’accessibilité ne peut donc pas se limiter à des surfaces, et doit se concevoir comme une chaîne de déplacements sans discontinuités ni obstacles.
Ce ne sont pourtant pas les diagnostics d’accessibilité qui manquent. L’architecte Amal Benmansour a réalisé quelques diagnostics de voiries et de bâtiments recevant du public notamment en associant des étudiants de l’Ecole Nationale d’Architecture (ENA) dans le cadre de leurs stages, des associations et ONG (telles que l’Association Mobilité pour tous de Fès, la Colombe Blanche de Tétouan et d’ Handicap International).Aussi, la plateforme collaborative Woussoul, créée par quatre jeunes entrepreneurs marocains (Ilham Achoual, Oussama Abdellah Benhmida, Saad Fikriet Soufiane Hassou) permet aux usagers de partager des informations sur la praticabilité d’espaces publics, de lieux de consommations et de transports en fauteuil roulant. Ce catalogue est géolocalisé, et bien que Rabat et Casablanca soient les villes les mieux renseignées, il est de plus en plus utilisé à l’international (en Espagne, en Australie, en France, en Palestine, etc.). Cet outil de recensement gagnerait néanmoins à être plus exhaustif dans ses critères de notation, afin de permettre aux professionnels de la restauration et de l’hôtellerie dont les locaux ne sont pas accessibles de connaître les travaux d’aménagement à effectuer.
Le passage à l’action nécessite l’établissement d’un référentiel clair. Là encore, ce sont des initiatives privées qui voient le jour. Ainsi, l’AMH a signé une convention de partenariat avec le Groupe Al Omrane en 2012, qui a eu pour effet la réalisation d’un guide technique pour la mise en œuvre des normes nationales relatives à l’accessibilité dans les projets d’aménagement et de construction , et l’engagement du groupe à réserver 2% de ses logements sociaux, au niveau des RDC, aux personnes à mobilité réduite . Pour que les politiques publiques en matière de mobilité et de handicap aient un réel impact, ces thématiques transversales devraient être traitées de façon interministérielle, et en consultant toutes les parties prenantes. Ce n’est pas le cas car du côté étatique, les quelques signes de changements ne sont détectables que du côté du ministère du Développement social. Un guide technique, financé par la Banque Mondiale, a été commandé par le Ministère et est censé voir le jour (bien que sa publication soit déjà très retardée).
La grande avancée en matière d’accessibilité pour le Maroc est sans conteste le projet-pilote de Marrakech, dont le maître d’ouvrage est le ministère du Développement social de la solidarité, de la femme et de la famille, financé par la Banque Mondiale. Ce projet, unique et novateur, passe maintenant en phase d’exécution. Après un long diagnostic effectué par le cabinet d’architecture Benmansour (maître d’œuvre du projet), de grands axes de voiries, des jardins et des bâtiments recevant du public ont été sélectionnés pour être réaménagés. Plus précisément, les avenues Moulay Rachid, Mohammed V et Hassan Ier, les jardins Jnane El Harti et Arsat Moulay Abdeslam, ainsi que les sièges de la wilaya et de la municipalité. Le but est de faire tâche d’huile dans cette ville vitrine du Maroc, et de reproduire le modèle dans les autres villes du royaume (la ville de Tanger est en phase d’étude et diagnostic, Rabat, Casablanca et Oujda également).
Plus il y aura d’espaces accessibles, plus la mobilité, quelque soient les difficultés individuelles, sera fluide, autonome et agréable. Acteurs privés ou publics, il est donc important de multiplier les initiatives afin de participer à ce vent de changement social.
Paru dans CDM, Chantiers du Maroc n° 132 – Octobre 2015